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prudence rocaleux

C’était un vieux grief qu’elle entretenait envers les propriétaires. Elle ne parvenait pas à admettre que les maîtres possédassent la facilité de monter, sans fatigue, des étages douloureux avec les mains vides, alors que les pauvres domestiques, les bras chargés de provisions lourdes, se voyaient contraints à une lente ascension.

— Enfin, disait-elle, c’est comme ça, et pas autrement ; on sait qu’il y aura toujours des sacrifiés sur terre, et je suis parmi ceux-là. Mais, patience ! quand j’aurai mes 100 000 francs, tout ça changera.

Pleine d’espoir, elle fit résonner le timbre.

— Eh ! c’est mâme Prudence !

— Bien l’ bonjour, Mamzelle Julie. Et la santé ?

Couci-couça ! À force de cuisiner, on a mal aux jambes, et on attrape de grosses chevilles.

— Oui, c’est pas élégant, surtout avec c’t’ mode de jupes courtes.

— Ne m’en parlez pas !

— J’ suis venue par rapport à vot’ chapeau… Puisque nous parlons toilette, c’est le moment de placer mon affaire. Où que demeure vot’ modiste ? Vot’ petit bibi me plaît… C’est coiffant, pas chargé, du distingué, quoi !

— J’ai toujours bien porté la mode, convint Julie en se rengorgeant. J’ai vu mon chapeau à la devanture, et comme je connais mon physique, je me suis dit : « ce chapeau t’ira ». Il m’allait… À la réflexion, j’ai pensé que tous m’iraient aussi bien, mais çui-ci était simple, et j’aime pas le fla-fla, faut pas s’ faire remarquer, s’pas, c’est plus convenable… Le tape-à-l’œil m’irait encore, mais il vaut mieux se tenir un peu effacée pour qu’on ne s’occupe pas de vous.