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La terre de M. Allworthy étoit contiguë au domaine d’un de ces gentilshommes, connus en Angleterre sous le nom de conservateurs de gibier. À voir l’inflexible rigueur avec laquelle ces gens-là vengent la mort d’un lièvre, ou d’une perdrix, on les croiroit enclins à la superstition des banians de l’Inde, dont un grand nombre, dit-on, consacrent leur vie à la conservation de certains animaux. Mais nos banians anglais ne peuvent être accusés d’une pareille idolâtrie. S’ils se montrent si jaloux de garantir leurs lièvres et leurs perdrix de toute insulte étrangère, c’est pour avoir le plaisir d’en faire eux-mêmes une plus ample boucherie.

Loin de partager le préjugé commun contre cette classe d’hommes, nous pensons au contraire qu’ils remplissent parfaitement le vœu de la nature, et leur noble destination. Si, comme le dit Horace, il y a dans l’espèce humaine des individus fruges consumere nati, nés pour consommer les fruits de la terre, nous ne doutons pas non plus qu’il n’y en ait d’autres feras consumere nati, nés pour manger les animaux des champs, ou en termes vulgaires, le gibier ; et personne ne niera, ce nous semble, que ces gentilshommes ne soient très-fidèles à leur vocation.

Un jour que le petit Jones chassoit avec le garde, une compagnie de perdrix se leva sur les