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avoit déjà fait près de quarante milles à travers champs, dans une saison rigoureuse, pourra paroître un peu ridicule. On doit supposer, en effet, qu’elle n’avoit bravé la fatigue d’une pareille course, qu’avec un dessein bien réfléchi et bien arrêté. Honora, à en juger par quelques mots qui lui étoient échappés, en sembloit persuadée. Telle est aussi, sans doute, l’opinion d’un grand nombre de lecteurs qui ont depuis long-temps deviné le projet de notre héroïne, et condamné sa fuite, comme la démarche d’une fille sans pudeur.

Sophie ne méritoit point cette cruelle injure. Son cœur avoit été depuis peu si agité par l’espérance et par la crainte, par le sentiment de ses devoirs, par sa tendresse filiale, par sa haine pour Blifil, par sa pitié, et (disons-le) par son amour pour Jones ; la conduite de son père, de sa tante, de tout le monde, et de Jones surtout, avoit porté sa passion à un tel degré de violence, qu’elle étoit tombée dans cet état de trouble et d’égarement qui nous rend incapables de peser nos actions, et indifférents sur leurs suites. Les remontrances d’Honora lui inspirèrent toutefois une détermination plus sage. Elle résolut d’aller d’abord à Glocester, et de là directement à Londres.

Le malheur voulut qu’elle rencontrât à peu