Page:Fierens-Gevaert, La renaissance septentrionale - 1905.djvu/188

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qui contraste avec la maigreur débile de sa poitrine et de ses épaules tombantes, seuls indices physiologiques trahissant l’intellectuel. Il existe plusieurs copies de ce portrait, ce qui ferait croire que le prétendu Timothée jouissait d’une certaine réputation, — à moins que la valeur de l’œuvre aît seule inspiré ces répliques. Le coloris de ce petit panneau est à la fois très riche et très simple ; les tons rouge et vert du vêtement éclatent avec puissance dans l’harmonie tranquille du fond ; l’oreille et la main sont dessinées avec une vérité magistrale.[1]

L’Homme au Turban de la National Gallery est signé, et porte la devise du maître avec une inscription latine mentionnant la date de l’achèvement : 21 octobre 1433. Quel est ce sexagénaire coiffé d’un chaperon rouge qui s’enroule comme un turban avec une désinvolture singulièrement aristocratique et juvénile ? Est–ce quelque seigneur diplomate ainsi que sembleraient l’indiquer sa bouche hermétiquement close et ses lèvres volontaires ? Est-ce quelque riche marchand brugeois comme on l’a supposé en considérant la sûreté de son regard et le calme de sa physionomie ? On ne sait.[2] Au-dessus d’un col de fourrure la tête émerge, franchement éclairée, et c’est merveille de voir comment se détaillent les chairs, combien reste sûr et ferme le modelé des parties ombrées ; voyez la joue gauche depuis le rehaut doux à la commissure des lèvres jusqu’aux lumières distribuées autour de l’arcade sourcilière et diversifiée par les creux, plis et rides. Toute l’époque bourguignonne revit dans le personnage ; tout le génie de Jean Van Eyck est dans ce portrait.

Le maître n’attendra pas longtemps pour se surpasser. En 1434 il peignit le célèbre Arnoulfini et sa femme, (National Gallery). Au commencernent du XVIe siècle l’œuvre se trouvait en possession d’un conseiller de Maximilien et de l’archiduc Charles, don Diego Guevara. Elle passa ensuite dans la collection de Marguerite d’Autriche gouvernante des Pays-Bas et on en trouve mention dans l’inventaire de cette princesse : « Ung grant » tableau qu’on appelle Hernoul le Fin avec sa femme dedens une chambre

  1. Au Cabinet des Estampes de Berlin se trouve un dessin représentant, semble-t-il, le même Timothée. L’œuvre est assez faible et quelque peu détériorée ; la main — seule partie décélant un maître — ne tient plus un rouleau mais une bague, ce qui indiquerait que le modèle est fiancé. Au dos de la feuille est inscrit le nom du poète Adolphe Hillarius en qui il faut voir le propriétaire de cette copie. Parmi les portraits non datés et qui se rapprochent comme caractère et comme style du Timothée de Londres on peut signaler un dessin des collections du Louvre.
  2. M. Durand-Gréville croit que nous sommes en présence du portrait de Jean Van Eyck lui-même et il rapproche l’Homme au Turban du portrait supposé de Jean dans l’Adoration de l’Agneau. Avec la meilleure volonté du monde nous n’arrivons pas à saisir d’évidentes ressemblances entre le jeune homme de Gand et le vieillard de Londres. Cf. les Arts Anciens de Flandre. 1er jan. 1905. Art. cit.