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dernière partie de sa vie, nous dirons quelques mots des portraits non datés. Le plus célèbre est l’Homme à l’Œillet, du musée de Berlin.[1] On le croit contemporain de l’Homme au Turban. M. Kaemmerer dans un charmant commentaire imagine que ce vieillard auréolé d’un gigantesque chapeau de fourrure sous lequel ses oreilles s’étalent en larges pavillons, a dû bien souffrir de la conscience habituelle du portraitiste. L’attitude du bonhomme, sa bouche, les muscles de son front, de ses joues sont contractés ; il était mal à l’aise, semble-t-il, en posant, et le peintre n’enleva son objectif qu’après avoir reproduit les moindres crevasses du visage. On sent encore il est vrai, une bonne dose de vigueur sous ce masque usé. Le supplice du vieillard ne fut peut-être pas aussi cruel qu’on le croit, — et n’avons-nous pas vu que pour être le plus consciencieux des portraitistes, Jean Van Eyck n’était pas pour cela le moins expéditif

Couvert de vêtements cossus, l’Homme à l’Œillet était riche ; le bourrelet velu qui le couronne n’était point un ornement à la portée de toutes les têtes. Il était compère de saint Antoine ainsi que l’indiquent le tau et la clochette suspendus à la chaîne d’argent tressée qui sort en demicercle de son col de fourrure. Les fleurs qu’il présente de la main droite ont-elles une signification symbolique ? Jacqueline de Bavière, dans la copie signalée plus haut, tient également un œillet… Mais peut-être était-ce là tout simplement une convention permettant à l’artiste de peindre les mains dans ses portraits en buste. Et les mains dans l’Homme à l’Œillet, comme le reste de l’image, sont la vie même. L’œuvre fut célèbre de bonne heure. Notre vieillard, privé cette fois de son mirifique « chappeaul », reparaît en effet dans une Adoration des Mages du Maître de la Sainte Famille, sous le vêtement d’un des mages de l’Orient et tendant un diadème emperlé à l’Enfant-Dieu.

Le Jeune Homme de la Galerie du Gymnase d’Hermannstadt serait à rapprocher du Timothée. C’est une œuvre malheureusement assez détériorée. Sur la foi d’une fausse inscription on l’attribuait jadis à Dürer[2], mais la seule présence du chaperon aux cornettes ornées de fanfreluches, nous apprend que le modèle est contemporain de Jean Van Eyck. Sa ressemblance avec le Timothée de Londres et le dessin de Berlin s’arrête à la pose. Vêtu d’un pourpoint noir, tenant lui aussi une bague dans la main droite, il a les

  1. M. Otto Seeck est, je crois, le seul critique qui attribue l’Homme à l’Œillet à Hubert Van Eyck. Cf. Ein neues zeugnis über die Brüder Van Eyck. Kunstchronik. art. cit. 1899-1900 p. 68.
  2. Aujourd’hui M. Durand-Gréville y voit une œuvre de Hubert, Arts anciens de Flandre, art. cit. p. 28.