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loutre qu’il vit chez Leonico Tomeo de Padoue. Facius donne une description latine fort précise de ce Bain[1] que le duc d’Urbin posséda dans la suite et auquel Van Mander et Lucas de Heere font allusion. On y voyait des femmes nues et le dos de l’une d’elles se réfléchissait dans un miroir ; une lanterne éclairait la pièce où l’on remarquait une vieille femme en sueur et un chien lapant de l’eau. Par une ouverture adroitement ménagée on apercevait des montagnes, des bois, des villages, des châteaux, des hommes, des chevaux merveilleusement disposés dans la perspective crépusculaire. Mais ce qu’on ne se lassait pas d’admirer dans cette œuvre « sed nihil prope admirabilius in eodem opere » s’écrie Facius, c’était un miroir où tout ces objets se trouvaient reproduits comme dans une glace réelle. On a rapproché de cette œuvre perdue de Jean Van Eyck un petit tableau sur bois et à l’huile que le musée de Leipzig possède depuis 1878 : le Sortilège d’Amour.[2] Une jeune femme nue marche avec précaution dans sa chambrette et se dirige vers un bahut où se trouve le cœur de son amant, un cœur en cire qu’elle s’apprête à faire fondre, — tandis qu’un personnage, l’amant lui-même sans doute, ouvre la porte du fond.

La chasse dont parle l’Anonyme de Morelli montrait un paysage au milieu duquel des pêcheurs poursuivaient une loutre.[3] Facius rapporte également que Philippe le Bon commanda au maître une Représentation du Monde : c’était un paysage où l’on voyait à vol d’oiseau des villes et des villages très éloignés les uns des autres. Ce tableau, que mentionne aussi Lucas de Heere, était circulaire et c’est la seule fois que nous voyons Jean Van Eyck peindre un tondo, forme déjà connue de Jean Malouel. La manière dont le paysage y était conçu confère à cette Représentation du Monde un intérêt spécial et semblerait prouver que Jean Van Eyck était employé à des travaux de géographe et d’ingénieur comme le furent plus tard d’autres maîtres de Bruges, Lancelot Blondeel et Pierre Pourbus.

Enfin le même Facius nous parle d’un triptyque représentant au centre l’Annonciation, sur les volets intérieurs saint Jean-Baptiste et saint Jérôme sur les volets extérieurs le donateur Baptiste Lomellinus et sa femme.[4] Le tableau est sans doute celui qui fut envoyé au roi Alphonse de Naples, par des marchands florentins. Van Mander en parle, et s’il faut l’en croire, l’œuvre provoqua la plus vive émotion parmi les artistes napolitains : « Le

  1. Facius, Ut supra, p. 46. Cf. Crowe et Cavalcaselle op. cit. p. 101.
  2. N. Lücke : Zeitschrift für bildende Kunst 1882 p. 381.
  3. Hymans. Livre des peintres de C. Van Mander, p. 48. Cette œuvre était peinte sur toile Cf Crowe et Cavalcaselle op. cit. p. 102. Note.
  4. Facius, De Viris illustribus ; Florence, 1745, in-4o, p. 46.