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Le Retable traverse ensuite une époque critique[1]. Pendant les troubles du 19 août 1566, on dut le transporter dans la nouvelle citadelle de Gand ; peu de temps après, les luthériens, par l’entremise du prince d’Orange, l’offrirent à Elisabeth d’Angleterre dont ils voulaient l’appui ; l’évêque Triest par son énergie, sut heureusement empêcher ce marché. Puis survinrent les fureurs iconoclastes ; le chef-d’œuvre menacé fut caché à l’Hôtel de Ville avec d’autres objets précieux. La ville ayant été reprise par les Espagnols, on profita d’une accalmie pour replacer le polyptyque dans la chapelle de Judocus Vydt en septembre 1584, sous la direction du peintre Frans Horebaut. La série des périls n’était point épuisée. En 1641 le feu détruisit le toit de Saint-Bavon ; le Retable fut sauvé à temps ; mais une nouvelle restauration fut jugée nécessaire. Le peintre Van den Heuvel s’en chargea en 1663 ; en tout cas, il nettoya Adam et Ève, « schilderye van Adam en Eva. » Ces mêmes figures eurent le don de scandaliser le voltairien Joseph II quand il visita les Pays-Bas en 1785, et elles furent dès lors reléguées dans les combles. Ce fut le commencement de la fin.

En 1794, faisant en Belgique leur moisson de chefs-d’œuvre, les commissaires français s’emparèrent de l’Adoration. Mais grâce à l’intervention de l’évêque Mgr Fallot de Beaumont, les volets mobiles purent rester à Gand. Les parties centrales, exposées au Louvre, y firent sensation. On les restitua à la fabrique de Saint-Bavon après Waterloo, et elles traversèrent triomphalement la ville de Gand au milieu des réjouissances populaires. Le 10 mai 1816, on les replaça sur l’autel et on eut le tort de ne pas y joindre tout de suite les volets sauvés en 1794.

Il se passa alors une chose effroyable.

Profitant de l’absence du nouvel évêque, Mgr de Broglie, les marguilliers vendirent les six volets : Anges musiciens, Anges chanteurs, Juges intègres, Chevaliers du Christ, Pèlerins et Ermites. C’est une histoire tragique et grotesque dont l’un des épisodes les plus douloureusement comiques a été conté récemment avec une loyauté admirable par le chanoine G. Van den Gheyn[2], de la cathédrale de Saint-Bavon. La vente eut lieu en 1816. L’année suivante le gouverneur de la Flandre orientale, baron de Kevenberg invita les marguilliers « à lui faire connaître les auteurs de la vente illicite dont il s’agit, afin de faire peser sur eux la responsabilité

  1. Cf. à partir de cette époque sur l’historique du chef-d’œuvre : Ch. Ruelens, Annotations de Crowe et Cavalcaselle : Les anciens Peintres flamands, trad. Delepierre, T. II, p. LVII ; Siret dans l’Art chrétien en Hollande et en Flandre, T. I, p. 2 et 5. Amsterdam 1881 ; Michiels : les Peintres Brugeois, op. cit. et Ch. Van den Gheyn : Quelques documents inédits sur deux tableaux célèbres. Bulletin de la société d’histoire et d’archéologie de Gand t. VIII, 1900. p. 201 à 208.
  2. Frère de notre éminent collaborateur.