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toujours vrai — « la foule ne le voyait qu’aux jours de grandes fêtes ; mais il y avait alors une telle presse qu’on en pouvait difficilement approcher, et la chapelle ne désemplissait pas de la journée. Les peintres jeunes et vieux et les amateurs d’art y affluaient comme par un jour d’été les abeilles et les mouches volent par essaims autour des corbeilles de figues ou de raisins[1]. » Ceci n’est plus vrai. Il y a cinquante ou soixante ans les paysans des environs de Gand allaient le dimanche matin admirer l’œuvre exposée publiquement. Le Retable est toujours visible gratuitement le jour du Seigneur ; mais les paysans ne viennent plus guère. Et combien d’artistes s’estiment quittes envers le chef-d’œuvre quand ils l’ont vu pendant quelques minutes !

En visitant les Pays-Bas les voyageurs d’autrefois ne manquaient point d’aller contempler l’autel de Judocus Vydt. Dès la fin du XVe siècle, en 1494, un savant médecin de Nüremberg, Hieronymus Münzer, relatant son voyage dans les Flandres, décrit le Retable avec ferveur[2] et Albert Dürer, traversant Gand, ne sera pas moins enthousiaste : « Darnach sahe ich des Johannes Taffel, das ist ein überköstlich hoch verständig Gemähl ! » — Dès ce moment Jean passe aux yeux de tous pour le principal auteur du polyptyque.

En 1550, première restauration. Le clergé de Saint-Bavon choisit deux peintres universellement estimés à cette époque : Lancelot Blondeel, le glorieux dessinateur de la cheminée du Franc de Bruges, et Jean Schoreel, chanoine d’Utrecht. Ces maîtres s’acquittèrent religieusement de leur tâche et reçurent des présents précieux. « Celui du maître Jean Schoreel », nous dit Van Vaernewyck, « consistait en un hanap d’argent dans lequel j’ai bu » en visitant sa maison à Utrecht[3]. »

C’est au moment où s’achevait le travail de Schoreel et Blondeel que Philippe II, « trente-sixième comte de Flandre » et dilettante de haut goût, se désolant de ne pouvoir contempler l’original de l’Adoration en Espagne, songea à faire copier le polyptyque par quelque maître flamand en renom. Il s’adressa à Michel Coxcie — le Raphaël flamand — qui exécuta son travail en deux ans et reçut environ quatre mille florins[4]. Rien ne fut négligé pour que la réplique se rapprochât le plus possible de l’original. Comme il était impossible de se procurer du beau bleu dans le pays, le

  1. Le Livre des Peintres, éd. Hymans, p. 84.
  2. Karl Voll. Jean Van Eyck en France. Gazette des Beaux-Arts, 1901, II.
  3. Van Vaernewyck. Ch. XLVII.
  4. Cf. Ode de Lucas de Heere. Livre des Peintres, éd. Hymans, p. 38.