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chine de Newcomen, qui servait à Londres à la distribution des eaux, et qui était d’une force de 20 à 25 chevaux, ne pourrait faire parcourir à un vaisseau, quelque moyen que l’on mît en usage pour la transmission de la force, que la faible vitesse de 1m,2 par seconde, ou 4 320 mètres par heure, c’est-à-dire un peu plus de deux nœuds. Sur cette considération, il proposait pour la propulsion des navires un système mécanique nouveau, immergé en partie dans l’eau, à la manière des rames, mais fonctionnant d’après le principe de l’hélice actuelle, et qui serait mis en action par des hommes ou par toute autre puissance mécanique[1].

Le mémoire de Bernouilli fut couronné par l’Académie des sciences, et il est hors de doute que ce savant mathématicien avait judicieusement traité la question, en déclarant que la machine de Newcomen, la seule machine à vapeur qui fût alors connue, ne présentait aucune supériorité, comme force, sur les autres agents moteurs.

Cependant nous ne devons pas négliger de dire que l’un des concurrents dans ce tournoi académique, s’était nettement prononcé en faveur de la machine à vapeur. L’abbé Gauthier proposa d’appliquer à la propulsion des navires la machine de Newcomen, qu’il rendait propre à donner un mouvement de rotation, et qu’il consacrait à faire mouvoir des roues à palettes placées sur les côtés du navire.

Les défauts de la machine de Newcomen, l’énorme quantité de combustible qu’elle nécessitait, et la difficulté extrême de transformer son mouvement intermittent en un mouvement de rotation continu, n’auraient pas permis de mettre en pratique avec succès le projet de l’abbé Gauthier. Cependant le mémoire dans lequel le chanoine de Nancy expose ses projets, contient un tableau très-remarquable des avantages de la vapeur employée à remplacer sur les vaisseaux, le travail de l’homme. Comme il donne une idée frappante et fidèle de l’état de la science à cette époque, nous croyons être agréable à nos lecteurs en mettant sous leurs yeux la plus grande partie de ce travail, qui parut en 1754, dans les Mémoires de la Société royale des sciences et lettres de Nancy.

L’auteur commence par établir, par des résultats authentiques, le peu de vitesse des vaisseaux mus par la main des rameurs, c’est-à-dire des galères[2]. Chacun sait qu’à cette époque, les hommes condamnés par la justice, étaient affectés à ce travail ; d’où le nom de galériens.

« M. de Chazelle, de l’Académie royale des sciences, s’est assuré, dit l’abbé Gauthier, par des expériences répétées avec exactitude, qu’une galère qui a vingt-six rames de chaque côté, et dont la chiourme est de 260 hommes, ne fait que 4 320 toises par heure.

« On voit, par des expériences faites à Marseille le 12 février 1693, que la vitesse d’une galère à rames perpendiculaires ou tournantes, inventées par M. Duguet, ne l’emporte pas sur celle d’une galère ordinaire.

« Il résulte de ces faits, que la force d’un équipage fort coûteux ne peut faire avancer un grand vaisseau avec beaucoup de vitesse, et qu’il serait à souhaiter qu’on pût recourir en plein calme à un autre principe de mouvement.

« Les rames à feu que je propose procureront plusieurs grands avantages :

« 1o Elles joueront soir et matin, sans employer la force des hommes, au lieu que, de quelque manière qu’on applique des rames, soit celles de MM. de Camus, Martenot Limousin, ou quelque autre espèce, il faudra au moins une chiourme de 400 hom-

  1. Voyez l’important mémoire de Bernouilli dans le Recueil des pièces qui ont remporté les prix de l’Académie, t. VI, p. 94 et suivantes.
  2. Ces galères étaient des bâtiments plats, étroits, à bords très-bas, qui allaient à voiles et à rames. Les forçats, enchaînés sur les bancs, étaient condamnés à faire marcher ces navires, quelquefois très-chargés et toujours très-lourds. Le travail des galériens rendait des services réels. Une ordonnance de Charles IX, du mois de novembre 1564, enjoint aux parlements de ne pas prononcer la peine des galères pour un temps moindre de dix ans (voy. Guénois, p. 805) : « parce que trois années étant nécessaires pour enseigner aux forçats le métier de la vogue et de la mer, il serait très-fâcheux de les renvoyer chez eux au moment où ils deviennent utiles à l’État. » Le besoin qu’on avait de rameurs faisait même fléchir les règles de la justice. Colbert écrivit aux parlements, par ordre de Louis XIV, pour leur recommander de condamner aux galères le plus qu’ils pourraient, même pour les crimes qui mériteraient la peine de mort.