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consul Saint-Jean de Crèvecœur avait pu assurer à l’inventeur américain le meilleur accueil et un concours actif. Mais il avait compté sans la guerre extérieure, qui occupait toutes les forces de la France, et sans les déchirements intérieurs d’un pays qui se régénérait, qui s’arrachait violemment aux entraves d’une détestable organisation sociale. Au dehors la guerre était partout, au dedans éclataient sans cesse des mouvements terribles.

Fitch, comme on l’a vu plus haut, avait connu Brissot à Philadelphie. Il comptait sur lui comme député de la Convention, et, en effet, son concours ne lui fit pas défaut. Fitch se présenta dans une séance de la Convention nationale, sous les auspices de Brissot, tenant à la main, non sans quelque apparat, le pavillon de la République américaine, dont le gouverneur de l’État de Pensylvanie, James Miflin, avait décoré son bateau dans une circonstance solennelle.

La Convention accueillit avec faveur cette démarche. Elle salua de ses applaudissements l’inventeur américain et le drapeau de sa patrie. Mais Brissot périt sur l’échafaud le 31 octobre 1793, et avec lui Fitch perdit son unique appui.

Toutes ces complications, toutes ces circonstances défavorables, forcèrent l’inventeur américain à renoncer à son entreprise. Il revint à Lorient, et s’enquit d’un navire qui le ramenât en Amérique. Son dénuement était tel qu’il se trouvait hors d’état de payer son passage, et qu’il fut heureux d’obtenir de M. Wail, consul des États-Unis à Lorient, le prix de sa traversée.

De retour en Amérique, Fitch ne mena plus qu’une existence de misère et de chagrin. N’ayant vécu que pour une idée, il n’avait plus de raison d’exister, après avoir perdu toute espérance de la faire réussir. Une sombre tristesse absorbait son esprit.

Il voulut alors chercher dans l’ivresse du vin l’oubli de ses tourments. Mais l’ivresse n’est pas un remède. Le chagrin, un moment dissipé par une excitation passagère, renaît, au réveil, plus tenace et plus terrible. Cette excitation et cet affaissement successifs de l’âme, finissent par amener un dégoût universel, et jusqu’au dégoût de soi-même.

Le malheureux John Fitch, las de vivre, c’est-à-dire de souffrir, quitta, un soir, Philadelphie. Il suivit quelque temps les rives de la Delaware, et après avoir jeté un long regard de désespoir et de regret, sur ce beau fleuve qui avait été le théâtre de ses travaux, de ses triomphes et de ses espérances, puis de son désastre et de sa ruine, il se donna la mort en se précipitant dans ses flots, du haut d’une berge escarpée.

Dans son testament, Fitch léguait ses manuscrits, ses plans, et les croquis de ses machines, à la Société philosophique de Pensylvanie, afin que quelqu’un continuât son œuvre « s’il en a le courage », ajoutait-il avec amertume dans cet acte suprême.

Revenons maintenant à James Rumsey, que nous avons laissé arrivant en Angleterre.

James Rumsey avait adopté un appareil moteur tout différent de celui de Fitch. Il se servait d’une pompe qui puisait l’eau à l’avant du bateau, et la refoulait sous la quille, pour la faire ressortir à l’arrière.

Ce système avait été proposé, en France, par Daniel Bernouilli. Franklin l’avait jugé avec faveur. On trouve ce sujet traité avec étendue dans l’une de ses lettres[1]. Ne considérant que le cas extrême des roues à aubes immergées jusqu’à l’arbre, Franklin avait cru prouver que l’on perdrait beaucoup de force en employant les roues à aubes comme moyen de propulsion nautique. Le système de Bernouilli lui semblait donc supérieur, et il conseilla à Rumsey d’en faire l’application à son bateau. Ce dernier en fit l’essai en 1787 ; mais le bateau ne filait que deux nœuds et demi. Ayant reconnu toute l’insuffisance de ce moyen, Rumsey y substitua un système plus

  1. Lettre à M. Leroy, du 5 avril 1775 (Œuvres de Franklin), in-4o.