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les chaînes du conducteur du paratonnerre, pour prévenir les effets de la foudre. Le bâtiment se trouvant un jour dans l’île d’Otahiti, on envoya un matelot attacher cette chaîne au grand mât. Cet homme eut à peine rempli son office, qu’un autre matelot, qui nettoyait la chaîne avant de la fixer près des haubans, reçut une secousse électrique, et l’on vit le feu du ciel descendre le long de ce conducteur, sans occasionner le moindre accident.

Voilà sans nul doute un témoignage décisif de l’efficacité des paratonnerres sur les navires. La foudre est transmise par la chaîne conductrice ; on la voit descendre du ciel dans la mer : elle avertit de sa présence, par une secousse électrique, le matelot qui allait fixer le conducteur, et aucun accident n’arrive ; si la chaîne n’eût pas été placée à temps le long du mât, le vaisseau eût été foudroyé.

Le capitaine Cook a rapporté une autre observation, qui est tout aussi décisive sous ce rapport :

« Nous éprouvâmes, sur les neuf heures, dit le célèbre navigateur dans le récit de l’un de ses voyages autour du monde, une horrible tempête, accompagnée d’éclairs et de pluie, pendant laquelle un navire hollandais, dit l’Indien occidental, eut son grand mât brisé et emporté de dessus le tillac ; le grand perroquet et le grand hunier furent mis en pièces (fig. 281). Il y avait une espèce de dard en fuseau de fer au sommet du grand perroquet, qui dirigea probablement le coup ; ce vaisseau n’était éloigné des nôtres que de la portée de deux câbles, et il y a toute apparence que nous aurions subi le même sort, sans une chaîne électrique que nous avions attachée au haut de nos vaisseaux, et qui conduisit la foudre sur les côtés. Mais quoique nous ayons échappé au ravage de la foudre, nous éprouvâmes une explosion semblable à un tremblement de terre, et la chaîne parut en même temps comme une traînée de feu. La sentinelle, occupée à la charger, éprouva une secousse qui lui fit tomber son mousquet d’entre les mains, et brisa même la baguette. Je ne peux donc trop recommander de pareilles chaînes pour chaque vaisseau ; quelle que soit sa destination, j’espère que le malheureux destin du Hollandais servira, à ceux qui liront cette relation, d’avertissement pour ces pointes de fer qu’on fixe au haut du mât. »

On a fait remarquer judicieusement, à propos de ce récit du capitaine Cook, que le conducteur de son navire n’ayant qu’un sixième de pouce de diamètre, était trop mince pour cet objet ; il aurait dû, pour jouir de toute son efficacité, présenter au moins un pouce d’épaisseur. Il paraît aussi que la pointe qui appartenait originairement à la chaîne conductrice, avait été volée, et que celle qui fut atteinte par la foudre, était d’un travail inférieur et moins aiguë. Sans ce double défaut : une pointe obtuse et une chaîne trop mince, le coup de foudre aurait été entièrement prévenu.

Au mois de juin 1813, dans le port de la Jamaïque, le vaisseau le Norge et un navire marchand furent atteints par la foudre et gravement endommagés ; ils n’étaient munis ni l’un ni l’autre de paratonnerres. Les autres bâtiments, en très-grand nombre, qui remplissaient le port, furent respectés ; ils étaient tous munis de leurs paratonnerres.

En janvier 1814, la foudre tomba dans le port de Plymouth. Le vaisseau Milleford fut le seul frappé et endommagé. Il était aussi le seul qui, dans ce moment, ne se trouvât point muni de son paratonnerre.

Trois coups de foudre frappèrent, en janvier 1830, dans le canal de Corfou, le paratonnerre du vaisseau anglais l’Etna, sans lui causer le moindre dommage. Le Madagascar et le Mosqueto, vaisseaux sans paratonnerres, placés non loin de l’Etna, furent atteints et fort maltraités par ce météore.

Après des faits si nombreux, et dont on pourrait étendre presque indéfiniment la liste, le lecteur demeurera suffisamment convaincu de l’efficacité des paratonnerres, et trouvera sans doute bien justifié l’hommage que la poésie a rendu à cette belle découverte scientifique, quand elle a dit, par l’organe de l’auteur des Mois, en parlant de la tige électrique :

Et par elle, à nos pieds, conduit sans violence,
Le tonnerre captif vient mourir en silence.