Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 2.djvu/449

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lâmes au gré du vent. Bientôt nous passons la Seine, entre Saint-Ouen et Asnières, et telle fut à peu près notre marche aréographique, laissant Colombes sur la gauche, passant presque au-dessus de Gennevilliers. Nous avons traversé une seconde fois la rivière, en laissant Argenteuil sur la gauche ; nous avons passé à Sannois, Franconville, Eau-Bonne, Saint-Leu-Taverny, Villiers, traversé l’Île-Adam, et enfin Nesles, où nous avons descendu. Tels sont à peu près les endroits sur lesquels nous avons dû passer perpendiculairement. Ce trajet fait environ neuf lieues de Paris, et nous l’avons parcouru en deux heures, quoiqu’il n’y eût dans l’air presque pas d’agitation sensible.

Durant tout le cours de ce délicieux voyage, il ne nous est pas venu en pensée d’avoir la plus légère inquiétude sur notre sort et sur celui de notre machine. Le globe n’a souffert d’autre altération que les modifications successives de dilatation et décompression dont nous profitions pour monter et descendre à volonté d’une quantité quelconque. Le thermomètre a été pendant plus d’une heure entre 10° et 12° au-dessus de zéro, ce qui vient de ce que l’intérieur de notre char était réchauffé par les rayons du soleil.

Sa chaleur se fit bientôt sentir à notre globe, et contribua par la dilatation de l’air inflammable intérieur, à nous tenir à la même hauteur sans être obligés de perdre notre lest ; mais nous faisions une perte plus précieuse : l’air inflammable, dilaté par la chaleur solaire, s’échappait par l’appendice du globe que nous tenions à la main, et que nous lâchions, suivant les circonstances, pour donner issue au gaz trop dilaté.

C’est par ce moyen simple que nous avons évité ces expansions et ces explosions que les personnes peu instruites redoutaient pour nous. L’air inflammable ne pouvait pas briser sa prison, puisque la porte lui en était toujours ouverte, et l’air atmosphérique ne pouvait entrer dans le globe, puisque la pression même faisait de l’appendice une véritable soupape qui s’opposait à sa rentrée.

Au bout de cinquante-six minutes de marche, nous entendîmes le coup de canon qui était le signal de notre disparition aux yeux des observateurs de Paris. Nous nous réjouîmes de leur avoir échappé. N’étant plus obligés de composer strictement notre course horizontale, ainsi que nous avions fait jusqu’alors, nous nous sommes abandonnés plus entièrement aux spectacles variés que nous présentait l’immensité des campagnes au-dessus desquelles nous planions ; dès ce moment, nous n’avons plus cessé de converser avec leurs habitants, que nous voyions accourir vers nous de toutes parts ; nous entendions leurs cris d’allégresse, leurs vœux, leur sollicitude, en un mot, l’alarme de l’admiration.

Nous criions Vive le roi ! et toutes les campagnes répondaient à nos cris. Nous entendions très-distinctement : Mes bons amis, n’avez-vous point peur ? n’êtes-vous point malades ? Dieu, que c’est beau ! Nous prions Dieu qu’il vous conserve. Adieu, mes amis ! J’étais touché jusqu’aux larmes de cet intérêt tendre et vrai qu’inspirait un spectacle aussi nouveau.

Nous agitions sans cesse nos pavillons, et nous nous apercevions que ces signaux redoublaient l’allégresse et la sécurité. Plusieurs fois nous descendîmes assez bas pour mieux nous faire entendre : on nous demandait d’où nous étions partis et à quelle heure, et nous montions plus haut en leur disant adieu.

Fig. 264. — Le physicien Charles.

Nous jetions successivement, et suivant les circonstances, redingotes, manchons, habits. Planant au-dessus de l’Île-Adam, après avoir admiré cette délicieuse campagne, nous fîmes encore le salut des pavillons, nous demandâmes des nouvelles de monseigneur le prince de Conti. On nous cria avec un porte-voix qu’il était à Paris, et qu’il en serait bien fâché. Nous regrettions de perdre une si belle occasion de lui faire notre cour, et nous serions en effet descendus au milieu de ses jardins, si nous avions voulu ; mais nous prîmes le parti de prolonger encore notre course, et nous remontâmes ; enfin nous arrivâmes près des plaines de Nesles.

Il était 3 heures et demie passées ; j’avais le dessein de faire un second voyage, et de profiter de nos avantages ainsi que du jour. Je proposai à M. Robert de descendre. Nous voyions de loin des groupes de paysans qui se précipitaient devant nous à travers les champs. « Laissons-nous aller, » lui