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aise et éprouva quelques vomissements. On fut obligé de ramener le petit malade en voiture ; la famille s’alarma, et un médecin déclara qu’on l’avait empoisonné. Les parents étaient furieux, on parlait d’attaquer le dentiste devant les tribunaux ; le succès de nouvelles opérations, dont le bruit commençait à se répandre dans la ville, calma heureusement cette émotion.

Cependant le moment approchait où l’expérience décisive devait s’accomplir à l’hôpital de Boston. Morton employa cet intervalle à faire construire, avec l’assistance de M. Gould, médecin versé dans les connaissances chimiques, un appareil très-convenable pour l’administration des vapeurs éthérées. C’était un flacon contenant une éponge imbibée d’éther, muni de deux tubulures et portant deux soupapes inversement placées pour donner un accès à l’air et une issue à la vapeur.

C’est le 14 octobre 1846 que le docteur Warren exécuta cette expérience mémorable, en présence de tous les élèves de la Faculté de médecine et d’un grand nombre de praticiens de Boston. L’opération devait avoir lieu à 10 heures ; Morton se fit longtemps attendre. Il entra enfin au moment où le chirurgien, n’espérant plus le voir arriver, allait procéder à l’opération ; il tenait à la main l’appareil que le fabricant venait seulement de terminer. Quant au docteur Jackson, il ne parut point : Morton avait été messager infidèle ; il n’avait pas prévenu son confrère, qui était parti ce jour-là pour les mines du Maryland.

L’opération se fit avec un bonheur complet. Morton ayant appliqué le tube aspirateur sur la bouche du malade, l’insensibilité se manifesta au bout de trois minutes. Il s’agissait d’enlever une tumeur volumineuse du cou. Le chirurgien fit une incision de trois pouces, et commença à disséquer les tissus à travers les nerfs et les nombreux vaisseaux de cette région. Il n’y eut, de la part du patient, aucune expression de douleur ; seulement il commença, après les premiers coups de bistouri, à proférer des paroles incohérentes, et parut agité jusqu’à la fin de l’opération ; mais il déclara, en revenant à lui, n’avoir senti rien autre chose qu’une espèce de grattement. Des acclamations et des applaudissements retentirent aussitôt dans la salle, et les spectateurs se retirèrent en proie aux émotions les plus vives.

Le lendemain, une autre expérience fut exécutée dans le même hôpital, par le docteur Hayward, sur une femme qui portait une tumeur au bras. L’inspiration des vapeurs fut continuée pendant tout le temps de l’opération ; il n’y eut aucun signe de douleur ; quelques murmures se firent entendre à la fin de l’opération, mais, à son réveil, la malade les attribua à un rêve pénible qu’elle avait eu, et déclara n’avoir rien senti.

Le 7 novembre, le docteur Bigelow pratiqua, avec l’éther, une amputation de cuisse. Le même jour, il lut à la Société médicale de Boston un mémoire détaillé sur les faits précédents, et l’éthérisation fut dès ce moment une découverte publique et avérée.

La gloire d’avoir attaché son nom à une conquête scientifique aussi précieuse, et l’honneur qui lui revenait pour avoir hâté, par son heureuse audace, le moment de sa réalisation, ne suffirent point au dentiste William Morton. Il eut la triste pensée de monopoliser à son profit une découverte qui devait appartenir à l’humanité tout entière. Il voulut se placer sous la sauvegarde illibérale d’un brevet, et exiger une redevance de tous ceux qui voudraient jouir de ce bienfait nouveau ; ainsi il ne consentait à affranchir de la douleur que ceux qui auraient le moyen de payer ce privilége. Le docteur Jackson résista longtemps à cette prétention honteuse ; disons-le, cependant, il eut le tort de céder. M. Jackson allègue pour excuse qu’il ne consentit à laisser figurer son nom sur le brevet