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donc sans détour, les inhalations d’éther ont provoqué plusieurs accidents sérieux, les inhalations de chloroforme ont plusieurs fois amené la mort. La gravité de ce sujet nous oblige à l’examiner avec quelques détails.

Ce n’est que plus d’un an après la découverte et l’emploi général de la méthode anesthésique que s’est élevée la question du danger des inhalations stupéfiantes. Des milliers de malades avaient déjà éprouvé les avantages de l’anesthésie et en bénissaient les bienfaits, lorsque quelques accidents signalés en Angleterre à la suite de l’administration de l’éther, vinrent troubler la sécurité parfaite dans laquelle les chirurgiens avaient vécu jusqu’à cette époque. Disons-le cependant, ces premiers faits étaient mal interprétés, et les craintes qui s’élevèrent alors étaient marquées au coin d’une singulière exagération.

Le premier événement fâcheux attribué à l’emploi de l’éther fut publié à la fin de février 1848, par la Gazette médicale de Londres. Il s’agissait d’un jeune apprenti, âgé de onze ans, nommé Albin Burfitt, qui avait eu les deux cuisses saisies par l’engrenage d’une mécanique. Il en était résulté une fracture avec une telle dilacération des parties molles, que l’amputation fut jugée indispensable. Elle fut pratiquée par M. Newman, le 23 février 1848. Malgré l’usage des inhalations éthérées, le jeune malade ressentit beaucoup de douleur dans les premiers temps de l’amputation. Après l’opération, il tomba dans un état de prostration profonde et mourut trois heures après. La mort du jeune Burfitt ne pouvait évidemment se rapporter à l’action de l’éther ; les graves désordres dont l’économie avait été le théâtre, les douleurs excessives que le sujet avait ressenties dans les premiers instants de l’opération, et qui d’ailleurs s’expliquent par ce fait, que le chirurgien avait opéré pendant la période de l’excitation éthérée, c’est-à-dire dans un moment où, comme nous l’avons vu, la sensibilité est accrue, enfin l’épuisement nerveux qui avait été la conséquence de l’ébranlement profond imprimé à l’organisme, rendaient suffisamment compte de cette mort. Aussi ce fait ne causa-t-il qu’une assez faible sensation.

Il en fut autrement d’un événement semblable arrivé quelques jours après. Le 18 mars, une enquête fut ouverte devant le coroner du comté de Lincoln, à l’occasion d’une jeune femme, nommée Anne Parkisson, qui mourut trois jours après l’emploi des inhalations d’éther. Ce fait fut porté devant les tribunaux, et le coroner décida que l’opérée était morte « par l’effet de la vapeur d’éther qu’on lui avait fait respirer. » Mais un jury plus compétent eût tenu compte, pour absoudre l’agent incriminé, de l’état naturel de faiblesse de la malade, de la longueur de l’opération, des phénomènes nerveux qui l’avaient suivie, et surtout des faits que révéla l’autopsie cadavérique.

Le dernier cas de mort signalé à cette époque en Angleterre, comme consécutif à l’administration de l’éther, est celui d’un homme âgé de cinquante-deux ans, nommé Thomas Herbert, opéré de la taille par M. Roger Nunn, chirurgien de l’hôpital de Colchester, à Essex, et qui mourut cinquante heures après l’opération. Ici la taille avait été pratiquée chez un sujet épuisé, et nous n’avons pas besoin de dire que l’on a vu cent fois, après la cystotomie, la mort par épuisement nerveux arriver dans un délai beaucoup plus court, sans que l’on eût fait usage des anesthésiques[1].

En France, aucun cas de mort réellement imputable à l’éther n’avait été signalé, avant le fait observé à l’Hôtel-Dieu d’Auxerre, le 10 juillet 1847, sur un ouvrier bavarois, âgé de cinquante-cinq ans, affecté d’un cancer au sein, et qui mourut pendant l’opération même, avec des signes évidents d’asphyxie.

  1. La même réflexion s’applique au cas de mort signalé à la même époque par M. Roel, de Madrid.