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forme, dans le cours des opérations douloureuses. Mais des faits nouveaux et d’une gravité impossible à dissimuler ou à méconnaître, vinrent apporter, contre les conclusions académiques, de tristes et irrécusables arguments. C’est le 6 février 1849 que fut adopté, par l’Académie, le rapport de Malgaigne ; six jours après, le 12 du même mois, un journal de médecine publiait le récit détaillé d’un nouveau cas de mort par le chloroforme, exposé avec la plus honorable loyauté, par l’un des chirurgiens les plus distingués des hôpitaux de Lyon. Il s’agissait d’un jeune homme de dix-sept ans, exerçant la profession de carrier, et qui était entré à l’hôtel-Dieu de Lyon, pour y subir la désarticulation d’un doigt. Ce fait répond sans réplique à tous les arguments invoqués en faveur du chloroforme, car il démontre avec évidence que toute l’habileté et toute la prudence du chirurgien demeurent insuffisantes dans certains cas, pour conjurer les dangers auxquels expose l’administration de cet agent. On nous permettra donc de rappeler les termes mêmes de l’observation publiée par M. Barrier.

« Le jour venu, dit le chirurgien de Lyon, après s’être assuré que le malade jouit d’une bonne santé et n’a pris aucun aliment, on le fait placer sur un lit et on le soumet à l’inhalation du chloroforme, qu’il a désirée et qui ne lui inspire aucune appréhension. Le flacon qui renferme l’agent anesthésique est le même qui a servi, un instant auparavant, à endormir une jeune fille chez laquelle tout s’est passé régulièrement. On se sert, comme d’ordinaire, d’une compresse à tissu très-clair, étendue au-devant du visage, laissant un passage facile à l’air atmosphérique, et l’on verse le chloroforme par gouttes, à plusieurs reprises, sur la portion de la compresse qui correspond à l’ouverture du nez. Deux aides, très-habitués à la chloroformisation, en sont chargés, et explorent en même temps le pouls aux radiales. L’opérateur surveille et dirige le travail des aides.

« Après quatre à cinq minutes, le malade sent et parle encore. Une minute de plus s’est à peine écoulée, que le malade prononce quelques mots et manifeste une légère agitation. Il a absorbé tout au plus six à huit grammes de chloroforme, ou plutôt c’est cette quantité qui a été versée sur la compresse, et l’évaporation en a nécessairement entraîné la plus grande partie. Le pouls est resté d’une régularité parfaite sous le rapport du rhythme et de la force des battements.

« Tout à coup le patient relève brusquement le tronc et agite les membres, qui échappent aux aides ; mais ceux-ci les ressaisissent promptement et remettent le malade en position. Ce mouvement n’a pas duré certainement plus d’un quart de minute, et cependant l’un des aides annonce immédiatement que le pouls de l’artère radiale a cessé de battre. On enlève le mouchoir ; la face est profondément altérée. L’action du cœur a cessé tout à fait : plus de pouls nulle part, plus de bruit dans la région du cœur. La respiration continue encore, mais elle devient irrégulière, faible, lente, et cesse enfin complètement dans l’espace d’une demi-minute environ.

« Au premier signal donné, on a dirigé des moyens énergiques contre les accidents, dont la gravité a été immédiatement comprise. On approche de l’ouverture du nez, un peu d’ammoniaque sur un linge ; on en verse une grande quantité sur le thorax et sur l’abdomen, que l’on frictionne avec force. On cherche à irriter, avec la même substance, les parties les plus sensibles des téguments. On applique de la moutarde, on incline la tête hors du lit, enfin on cherche à ranimer la respiration par des pressions alternatives sur l’abdomen et sur la poitrine. Après deux ou trois minutes la respiration reparaît et prend même une certaine ampleur, mais le pouls ne se révèle nulle part. On insiste sur les frictions. La respiration se ralentit de nouveau et cesse encore une fois. L’espérance qu’on avait conçue s’évanouit. On insuffle de l’air dans la bouche et jusque dans le larynx, en portant une sonde à travers l’ouverture de la glotte, parce qu’en soufflant dans la bouche on s’aperçoit que l’air passe dans l’estomac. Des fers à cautère ayant été mis au feu dès le début des accidents, le chirurgien cautérise énergiquement les régions précordiale, épigastrique, prélaryngienne. Le pouls ne reparaît point. On continue pendant plus d’une demi-heure tous les efforts imaginables pour ramener le malade à la vie ; ils restent inutiles. »

Quelques mois après, un autre événement du même genre fut communiqué à l’Académie de médecine par M. Confévron, médecin des hôpitaux de Langres. Il se rapporte à une dame de trente-trois ans, madame Labrune, qui succomba à l’action du chloroforme administré pour faciliter l’extraction d’une dent.

Madame Labrune avait déjà été soumise, sans le moindre accident, aux inhalations d’éther. Le 24 août 1849, son médecin, M. de Confévron, crut devoir la soumettre, en pré-