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L’auteur fait connaître également la manière de lancer, au moyen des canons, de grandes flèches, des boulets enduits de matières incendiaires, ou de poudre en pâte, de sorte que « en quelque partie que choye la dicte pierre, elle fera moult grand dommaige. »

Mais le procédé de tir le plus curieux est celui qui consiste à lancer une sorte de boulet rouge, composé probablement d’un morceau de fer. Voici le passage du manuscrit.

« La manière de tirer plombées ardans que tout ce qu’elles rencontreront qui soict de boys, elles brûleront.

« Prenez un canon ou aultre baston de canonnerye, lequel vouldrez, et faictes faire des plombées toutes propices au dict baston ; et quand vous vouldrez tirer une des dictes plombées, bouttez la dedans le feu et la chauffez tant qu’elle soict toute ardente, puys la portez avecques des tenailles et l’enveloppez de fustaines et vieulx draps, linge tout mouilliez, et la mectez dedans le baston le mieulx que vous pourrez pour tirer, puys mectez le feu, et sur quelque chose qu’elle chée, elle se allumera, mais qu’il y ait du boys ou aultre chose qu’il puisse ardyr. »

À cette époque, les souvenirs du feu grégeois étaient encore dans tous les esprits ; car bien peu de temps s’était écoulé depuis que cet engin incendiaire avait joué un grand rôle dans les guerres de siége. Aussi ajoutait-on alors une grande importance aux projectiles enflammés. On employait plusieurs sortes de projectiles incendiaires ; on savait faire des balles à feu ; on savait enduire les boulets de matières inflammables, pour reconnaître, à la lueur du projectile, où portait le coup, et rectifier le tir de nuit.

Les balles à feu étaient composées de couches superposées de poudre mouillée, d’eau-de-vie, de cire, de soufre, de térébenthine et de chaux vive. Elles étaient percées d’un trou suivant leur diamètre, et ce trou correspondait à une ouverture semblable, pratiquée dans le tampon, qui séparait la balle à feu de la charge de poudre. Une baguette passant par ces deux trous, assurait le projectile dans la position voulue. Au moment de l’explosion, la baguette sortait de la balle à feu, le centre de ce projectile rempli de poudre humide prenait feu, et communiquait l’inflammation aux autres couches. Les balles à feu du xve siècle étaient le germe de la bombe et de l’obus modernes.

Les matières dont on enduisait les boulets, pour éclairer le tir, étaient un mélange de suif, de térébenthine et de poudre.

Les fusées se composaient d’une tige de fer, recouverte d’une pâte de poudre, d’huile et d’eau-de-vie. Une cartouche de toile enveloppait le tout.

Arrêtons-nous un moment sur les idées théoriques des artilleurs de l’époque du Moyen Âge et de la Renaissance.

La véritable manière dont la poudre agit sur le projectile, était encore loin d’être soupçonnée au xve siècle. On expliquait le phénomène d’après les idées de l’ancienne physique. On croyait que la poudre ayant brûlé derrière le projectile, il ne restait à sa place, que le vide ; or la nature, disait-on alors, ayant horreur du vide, le boulet était chassé au dehors, afin que l’air pût entrer dans la bouche à feu, et combler ce vide, que la nature ne pouvait souffrir.

Rabelais résume ainsi l’opinion de son temps sur la cause générale de l’explosion des pièces d’artillerie :

« La pouldre consommée, advenoit que, pour éviter vacuité, laquelle n’est tolérée en nature, la balotte et dragées estoyent impétueusement hors jectez par la gueule du faulconneau, affin que l’aer pénétrast en la chambre d’y celluy, laquelle aultrement restoyt en vacuité, estant la pouldre par le feu soubdain consommée[1]. »

Deux cents ans devaient s’écouler avant que les expériences de d’Arcy vinssent démontrer l’erreur de l’ancienne physique, et expliquer la projection du boulet par la force élastique des gaz provenant de la combustion

  1. Pantagruel, liv. IV, chap. lxii.