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duire l’art des constructions navales dans des voies complètement nouvelles.

En 1850, M. Dupuy de Lôme, alors ingénieur de la marine impériale, à Toulon, mit à l’eau le Napoléon, construit sur ses plans. Pour tirer de la machine motrice tout le parti possible, M. Dupuy de Lôme avait modifié profondément les formes des anciennes carènes. Auparavant, les avants des navires étaient très-arrondis ; on regardait même ces façons proéminentes comme nécessaires : Le navire, disait-on, doit avoir de l’épaule pour s’élever sur la lame. L’avant du Napoléon est, tout au contraire, très-fin : « c’est un coin qui divise, au lieu d’un poitrail massif qui résiste[1]. » Et pourtant le Napoléon est chargé d’une artillerie aussi puissante que l’ancien vaisseau à deux ponts ; et pourtant, à la voile seule, il ne le cède en rien aux meilleurs modèles antérieurement construits.

On peut voir dans le premier volume de cet ouvrage (Notice sur les bateaux à vapeur, page 229, fig. 106) le dessin du Napoléon sur une plus grande échelle.

Grâce à ses formes savamment étudiées, ce magnifique navire put atteindre, par un temps calme et sous vapeur, la vitesse de 13 nœuds, tout à fait inconnue avant lui aux pesants vaisseaux de guerre[2]. Sa force nominale[3] en chevaux-vapeur est de 900 chevaux.

Mais c’est surtout par les gros temps que les formes du Napoléon se montrèrent supérieures aux anciennes carènes. Les débuts de la guerre de Crimée en fournirent une preuve mémorable.

Le 22 octobre 1884, les escadres françaises et anglaises en croisière dans la Méditerranée, reçurent l’ordre de franchir le passage des Dardanelles. Une avant-garde de bâtiments légers et rapides ouvrait la marche : les escadres appareillèrent ensuite. Le Napoléon, sous vapeur, remorquait le vaisseau à trois ponts la Ville de Paris, sur lequel l’amiral Hamelin avait mis son pavillon. Mais bientôt le vent s’éleva ; la mer devint furieuse. Arrivées au passage, les escadres trouvèrent le vent et le courant tellement contraires, qu’elles ne purent avancer. Seul, le Napoléon, remorquant la Ville de Paris, regagna l’avant-garde, la dépassa bien vite et franchit le détroit des Dardanelles (fig. 390, page 525). L’escadre anglaise dut attendre près d’une semaine des temps plus favorables pour rejoindre le Napoléon et la Ville de Paris portant l’amiral Hamelin.

Ce fait produisit une vive impression en Angleterre, car il renfermait un grand enseignement. Il fallut se rendre à l’évidence, et reconnaître combien était heureuse et complète la création de ce vaisseau d’un type si nouveau, qui non-seulement allait au combat lui-même, mais y amenait un autre vaisseau, au moment où une flotte entière était paralysée par le gros temps.

Le Napoléon fut promptement imité. L’Angleterre construisit l’Agamemnon ; mais il est notoire que ce vaisseau ne réalisa pas les belles vitesses du type français, bien qu’il eût une force considérable en chevaux-vapeur.

Mais revenons à la guerre de Russie. En

  1. Émile Leclert, La voile, la vapeur et l’hélice.
  2. Dans la marine, la vitesse d’un bâtiment s’exprime en nœuds. Filer un nœud veut dire marcher à raison de 1 mille marin à l’heure ; filer 13 nœuds, c’est faire 13 milles marins à l’heure. Le mille marin est le tiers de la lieue marine, c’est-à-dire, en nombre rond, 1 852 mètres.
  3. L’usage s’est établi dans la marine, de désigner les machines à vapeur, par ce qu’on appelle leur puissance nominale. Le cheval nominal n’a pas toujours eu, et n’a pas dans toutes les nations, un rapport constant avec le cheval-vapeur de 75 kilogrammètres, usité dans l’industrie manufacturière. Par un règlement du 1er janvier 1867, dans la marine impériale française, la puissance d’un appareil à vapeur, en chevaux nominaux, est fixée actuellement au quart du nombre de chevaux de 75 kilogrammètres que cet appareil est susceptible de développer, à toute vapeur, sur ses pistons moteurs. Nous nous conformerons à cette règle dans cette Notice sur les bâtiments cuirassés. Le lecteur s’expliquera ainsi comment dans d’autres parties de cet ouvrage, publiées avant le 1er janvier 1867, certaines machines à vapeur marines sont citées avec des valeurs différentes de celles que nous leur attribuerons dans ce volume. Ajoutons que la nouvelle règle française est conforme aux usages actuellement en vigueur chez la plupart des constructeurs anglais.