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la nature des fonds le permettrait. Ces champs seraient ensuite soumis, ajoutait le célèbre académicien, au régime salutaire des coupes réglées, par lequel on laisse reposer les uns, pendant que les autres sont exploités.

Les vœux de M. Coste furent entendus. En 1858, la baie de Saint-Brieuc fut le théâtre d’un premier essai de reproduction artificielle des huîtres. L’entreprise fut faite aux frais de l’État, au moyen de ses navires, et confiée à la garde de ses équipages.

La rade de Saint-Brieuc présente de bonnes conditions pour favoriser la multiplication et le développement du mollusque que l’on se proposait d’y acclimater. Sur un espace qui n’est pas moindre de douze mille hectares, elle offre un fond solide, propre, composé de sable coquillier ou madréporeux, légèrement enduit de marne ou de vase. À chaque marée, le flot y apporte, avec une vitesse d’une lieue à l’heure, une eau, sans cesse renouvelée qui, en se brisant sur les nombreux rochers de ces parages, s’imprègne d’une grande quantité d’air, et reçoit ainsi des propriétés vivifiantes, éminemment utiles au développement et à l’entretien des jeunes bivalves. Ce courant, qui traverse parfois avec violence le golfe de Saint-Brieuc, apparaissait, il est vrai, comme une cause d’insuccès. On craignait que le mouvement continuel des eaux n’eût pour effet de dissiper et d’entraîner au loin dans la mer, la précieuse semence qu’il s’agissait, au contraire, de recueillir et de faire fructifier. Nous verrons plus loin, que ces craintes n’étaient que trop fondées. Mais racontons d’abord comment fut exécutée cette expérience intéressante, qui fut le premier essai de l’ostréiculture sur le littoral français.

Dans les mois de mars et d’avril 1858, c’est-à-dire à l’époque où l’huître est prête à rejeter son innombrable génération, on alla recueillir, à Cancale, à Tréguier et dans la mer commune, trois millions d’huîtres. Cette provision fut distribuée sur un certain nombre de bateaux. Remorqués par un aviso à vapeur de l’État, ces bateaux furent conduits au golfe de Saint-Brieuc, et distribués sur dix gisements longitudinaux. Ces gisements se trouvaient tracés d’avance, sur une carte marine, indiquant les lignes à féconder ; des drapeaux flottants sur des bouées, étaient destinés à diriger, selon leur sens, la marche du navire. Voici comment on s’y prit pour déposer les huîtres mères sur les fonds reproducteurs.

Pendant que le navire remorqueur suivait les lignes que l’on avait préalablement tracées sur la mer, au moyen de bouées et de drapeaux, comme les sillons que le laboureur trace avec sa charrue, les matelots montant les barques chargées de coquillages, jetaient à l’eau des mannes remplies d’huîtres, qui, tombant dans le sillage, allaient se déposer sur le fond. En parcourant successivement ces lignes, on couvrit ainsi le fond de la mer de lits d’huîtres, au moment de la ponte. Ces lits, convenablement espacés entre eux, composaient dix gisements, ou champs reproducteurs, embrassant en totalité une superficie de mille hectares.

Pour comprendre maintenant comment les produits de la ponte de ces huîtres ont pu être recueillis et fixés, il est indispensable que nous entrions dans quelques explications relatives au mode de reproduction de ces mollusques. Cet exposé est d’autant plus nécessaire que, jusqu’à ces dernières années, on a entièrement ignoré le mode de développement des jeunes huîtres, prises au moment où elles s’échappent de l’individu reproducteur. Ces notions étaient encore un mystère, il y a peu de temps, pour les naturalistes, et c’est la connaissance de ces particularités d’organisation qui a fait concevoir l’espérance de diriger la génération des huîtres et d’en recueillir les produits.

L’huître est hermaphrodite : les deux organes mâle et femelle sont réunis sur le