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l’inverse, les sons conduits par un milieu plus dense que l’air, sont plus aigus que dans l’atmosphère ordinaire. Comment veut-on que, parmi les bouffées inégalement dilatées de la salle du théâtre Lyrique, les accords de la scène et de l’orchestre conservent leur harmonie ?

Le défaut d’homogénéité des couches d’air diminue également la force du son. Le bruit de la chute du Niagara se fait entendre la nuit, à travers les forêts américaines, à une distance de 60 ou 80 kilomètres, parce que l’air, quoique coupé par les branches et les feuillages, est partout également dense. Le jour, quand le soleil donne sur les forêts, que les rayons, se partageant entre les feuilles, coupent l’air et le dilatent par traînées nombreuses, ce même bruit ne s’entend plus qu’à la distance de 8 ou 10 kilomètres.

Pendant la nuit du 7 juillet 1786, où Jacques Balmat essayait seul l’ascension du mont Blanc, et où, contraint de s’arrêter par la longueur du chemin, il se coucha sur la neige, à la hauteur des rochers du Grand Mulet, il entendit un chien aboyer au plus profond de la vallée de Chamonix, à une distance telle que, par le plus beau soleil, son œil n’eût pas même distingué les maisons.

Les navigateurs qui ont tenté la découverte du passage Nord-Ouest, et qui, enfermés par les glaces, ont dû passer des hivers entiers dans les régions polaires, racontent combien la voix humaine s’entend de loin, portée par cet air condensé, égal et immobile.

Or, dans les théâtres soumis à la ventilation par appel, l’air est dilaté par la chaleur et par l’appel ; il est troublé par les causes diverses de viciation, rompu par les courants et les densités inégales. Il semble qu’on ait cherché à le rendre aussi impropre que possible à conduire les sons.

Ne soyons donc pas surpris si la direction du théâtre Lyrique a jugé convenable de se débarrasser du même coup des avantages et des désavantages de cette ventilation. Aujourd’hui, le système de ventilation du théâtre Lyrique est, par le fait, supprimé. On chauffe la salle par les calorifères à air chaud, lorsqu’il fait grand froid ; mais on ne se donne pas la peine de chauffer les deux poêles F, F, qui doivent faire fonctionner les deux cheminées d’appel. Le système de ventilation du théâtre Lyrique est tombé à l’état de ruine, peu après sa création.

Le théâtre Lyrique est donc tout simplement chauffé quand il fait froid ; mais il n’est plus ventilé ni par les temps froids, ni par les températures modérées. Il se trouve dès lors dans des conditions hygiéniques déplorables. L’air ne s’y renouvelle pas, et quand les calorifères sont chauffés, on éprouve tous les inconvénients ordinaires des calorifères à air chaud, c’est-à-dire l’émanation des gaz toxiques du charbon, l’acide carbonique et l’oxyde de carbone. Aussi un séjour dans ce théâtre est-il insupportable pour beaucoup de personnes.

On ne pouvait, on le voit, plus tristement échouer dans une entreprise que l’on avait annoncée, au contraire, comme devant représenter les progrès les plus récents de la science et de l’art.

La ventilation du théâtre de la Gaîté est faite un peu différemment de la précédente, mais elle est basée sur le même principe de l’appel de l’air.

L’air qui arrive dans les caves, pour s’échauffer dans les calorifères, se dégage par les entretoises des loges. Aspiré par une cheminée d’appel qui est installée au sommet de l’édifice, il passe par les orifices de sortie ouverts sous les pieds des spectateurs, traverse des conduits situés dans les entretoises, et enfin aboutit au-dessus du lustre, à l’intérieur de la coupole à la base de la cheminée d’appel.

Écoutons au sujet de la ventilation du théâtre de la Gaîté, comme aussi pour ce qui concerne le théâtre du Châtelet, dans lequel ce même système a été adopté, un architecte instruit, qui a publié récemment dans