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port, où les soins nécessaires lui furent prodigués ; mais il mourut de sa blessure.

Ce qui ajoute à la tristesse de cet emprisonnement au milieu des flots, c’est qu’il réunit parfois des individus dont les goûts sont loin de s’accorder entre eux. Un jour, des curieux visitant la tour d’Eddystone demandaient à l’un des gardiens s’il se trouvait heureux dans cette retraite.

« Je le serais sans doute, répondit cet homme, si je pouvais avoir le plaisir de la conversation. Mais voilà six semaines que mon camarade et moi, nous n’avons pas échangé un mot ! »

La communauté du domicile et l’ennui de la captivité, joints au frottement perpétuel entre certains caractères anguleux, peuvent finir par engendrer des aversions profondes. Il y a quelques années, l’administration du Trinity-House eut à se prononcer entre deux gardiens, qui avaient conçu tant de haine l’un pour l’autre qu’ils ne pouvaient se regarder en face. Il fallut, pour mettre d’accord ces deux esclaves rivés à la même chaîne, donner congé à l’un d’eux.

C’est à la suite de quelques divisions de ce genre que le phare de Smalls fut, au siècle dernier, le théâtre d’une sombre tragédie.

Le phare de Smalls était alors desservi par deux gardiens seulement. Un soir, on vit flotter sur la tour un drapeau de détresse. Des barques furent aussitôt envoyées du port, mais elles ne purent s’approcher assez pour parler au gardien, tant la mer était rude. Le mauvais temps continuant, près d’un mois se passa sans qu’on pût songer à débarquer sur le récif. Quand on regardait avec une longue-vue, on croyait voir un homme immobile, dressé, comme un cadavre, contre un des côtés de la lanterne de la tour. On se livrait aux conjectures les plus alarmantes, et l’on ne savait d’ailleurs que penser, car la lumière du phare continuait de briller pendant les nuits.

Lorsqu’on put enfin débarquer sur l’écueil, on fut témoin d’un spectacle affreux. Des deux gardiens, un seul était vivant, et presque moribond, si l’on en jugeait à sa pâleur, à son morne silence et à ses membres amaigris.

Qu’était-il arrivé ?

L’un des gardiens était mort. La première idée de son compagnon avait été de jeter le cadavre à la mer, mais au moment de s’y déterminer, il avait été retenu par une réflexion terrible. Ne l’accuserait-on pas d’avoir assassiné son camarade ? Dans cette sombre et muette demeure, aucun témoin n’aurait pu déposer en sa faveur. La solitude et le silence de cette tour sans écho, une certaine inimitié qui régnait entre ces deux hommes, pouvaient accuser le survivant. Il s’était donc résigné à vivre en tête-à-tête avec le cadavre. Il avait construit, avec quelques planches, un grossier cercueil, dans lequel il avait couché son compagnon ; et, il avait dressé le triste cénotaphe contre les vitres de la lanterne, la face tournée vers le rivage. Puis il avait continué, seul, à entretenir les chandelles du phare. Les efforts que le malheureux s’était imposés pour continuer son service dans la tour, constamment en face du corps de son camarade, qui remplissait tout l’édifice d’une épouvantable odeur cadavéreuse, l’avaient épuisé.

Quand on trouva ces deux hommes, l’un déjà décomposé par la putréfaction, l’autre hagard et livide, on s’imagina voir un mort gardé par un fantôme.

Le survivant assura que son camarade était mort subitement et naturellement. On le crut ; mais à partir de ce moment, il fut décidé qu’il y aurait dans le phare de Smalls, trois gardiens, au lieu de deux, et cette mesure fut ensuite étendue aux autres phares de la Grande-Bretagne.

Faut-il parler enfin des dangers qui menacent les gardiens de ces tours solitaires, exposés à toutes les furies de l’Océan ? Au phare d’Eddystone, au phare de Bréhat, et en gé-