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on trouve des éponges, sont variables ; les pêcheurs plongent donc plus ou moins profondément, suivant leur habileté. C’est sur les côtes d’Afrique et sur celles de Caramanie que l’on descend le plus bas ; c’est là aussi que se rendent les meilleurs plongeurs »

« En général, on pêche de 15 à 25 brasses (25 à 40 mètres), mais il en est qui vont à 30, 35 et même 40 brasses (70 mètres) et qui restent de 3 à 4 minutes sous l’eau.

« Après avoir jeté de l’huile ou du lait d’éponge sur la surface de la mer pour voir le fond, ils piquent une tête en tenant entre leurs mains une pierre (scandali) fixée à une corde de signal. Cette pierre les entraîne rapidement. Une autre corde attachée à la corde de signal et à leur corps, permet de retourner à celle-ci qu’ils abandonnent arrivés en bas.

« Tandis qu’ils sont au fond de la mer, ils ramassent dans le rayon de cette deuxième corde, avec une légèreté, une vitesse et une adresse remarquables, les éponges qui s’y trouvent. Ils les placent dans un sac qui leur tombe devant la poitrine, et quelquefois, quand ils ont fait une abondante récolte, que le sac est rempli, ils en mettent entre leurs jambes et jusque sous leurs bras. Dès qu’ils veulent remonter, ils font le signal convenu ; on les ramène très-promptement à la surface. S’ils sont descendus à de grandes profondeurs, ils saignent par les oreilles, par le nez, par la bouche, conséquence de la compression qu’ils subissent.

« Grâce à l’habitude et à une pratique qui commence dès leur bas âge, ils n’éprouvent pas d’accidents plus fâcheux, comme cela arrive fréquemment en Europe chez les ouvriers travaillant dans l’air comprimé. Mais, dans ces conditions, ils ne peuvent faire au plus que cinq à six descentes par jour. On les voit, pour s’apprêter à plonger, aspirer à pleins poumons et remplir d’air tous les pores intérieurs.

« Comme on le pense bien, ces hommes perdent rapidement l’ouïe, prennent des maladies aiguës ; leur jeunesse, leur santé s’usent rapidement.

« Mais ce n’est pas tout, car ils courent de graves dangers.

« Au pied des éponges se trouve quelquefois une espèce d’ampoule verdâtre, grosse comme une noix et remplie de liquide ; les plongeurs l’appellent fusca. En prenant l’éponge, ils enlèvent aussi cette fusca, et, en la pressant contre eux au moment où ils remontent, elle crève. Le liquide qu’elle contient les brûle, forme une plaie hideuse, un chancre qui dévore la chair avec une rapidité effrayante et qui tue en quelques jours sans qu’aucun remède ait pu l’arrêter. Ce terrible poison ne pardonne pas.

« D’autres fois, c’est le requin qui a aperçu le plongeur et qui fond sur lui avec la rapidité de la flèche. L’homme a beau se faire hisser immédiatement, dès qu’il l’a aperçu ou entendu, c’en est fait de lui, l’animal le poursuit et, se retournant brusquement sur le dos quand il va l’atteindre, ouvre sa gueule énorme, et le coupe en deux. On en a vu s’accrocher ainsi par leurs crocs à la chair humaine, être amenés avec le plongeur jusqu’à la surface de l’eau, et là, malgré les coups de harpon, de piques, ne pas lâcher prise qu’ils n’aient emporté le morceau. Ce monstre est la terreur du plongeur, il l’appelle skilo, psuri (poisson ou chien).

« Il est encore un poisson qu’il craint beaucoup, l’anguille aveugle, que l’odorat seul, paraît-il, dirige. Elle se précipite sur le pêcheur et lui fait une morsure fort douloureuse. Ils disent que cet animal naît de l’anguille de mer et du serpent terrestre.

« On rapporte aussi quelques malheurs arrivés par des pieuvres énormes (octapode qui a huit pieds) dans des cavernes sous-marines. Cet animal immonde arrive parfois à des proportions colossales, et malheur à qui l’approche : se tenant cramponné par deux bras à un rocher, il se lance, en se déployant, sur sa proie, frappe comme une balle sur la poitrine et s’y colle, tandis que ses autres bras l’enlacent et l’étreignent comme pour la forcer à respirer : le malheureux se noie. Ceci est arrivé dernièrement sur les côtes de Candie. Il arrive enfin que le plongeur, attiré trop loin de sa corde de signal par l’appât d’un bon butin, ne retrouve plus sa pierre (les bons plongeurs négligent quelquefois de se rattacher à la corde de signal) ; impuissant à remonter, sans force, il périt atrocement.

« On peut donc dire que le métier est pénible, dangereux ; que le plongeur joue continuellement sa vie, pour ne pas gagner grand’chose en définitive. Et si l’on songeait à toutes les difficultés, à toutes les misères de cette existence, on s’étonnerait vraiment que cette marchandise n’ait pas un tout autre prix.

« Quelques barques montées par de vieux plongeurs, incapables désormais de descendre au fond de la mer, pêchent les éponges avec un harpon fixé au bout d’une longue perche. Cette perche, faite de plusieurs morceaux liés entre eux, atteint jusqu’à dix brasses (16 mètres). Cette manière de procéder déchire l’éponge et la fait beaucoup déprécier. Plus rarement encore, on emploie des dragues, dans le genre de celles employées à la pêche du corail. Ces dragues sont formées par une poche, à l’ouverture de laquelle se trouve une lourde barre transversale, reposant sur le sol sous-marin, tandis que la poche ouverte est prête à recevoir tout ce qui sera détaché par cette barre. La drague, tirée par des barques marchant à la voile, racle le fond de la mer jusqu’à 90 et 100 brasses de profondeur (145 à 160 mètres). On ramène de ces abîmes des éponges énormes d’un bon usage.

« Sur les côtes de Tunisie, c’est l’île de Gerbeh qui est le point central.

« Là aussi la pêche se fait au harpon et commence