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franc-tireur, M. Léon Bezier, partit, à minuit, emportant six pigeons messagers, cinq sacs, qui pesaient 300 kilogrammes et contenaient environ 100 000 lettres, un paquet de dépêches du gouvernement, pour la commission de la défense nationale à Tours et pour le général d’Aurelle de Paladines à Orléans, et une dépêche privée, adressée à Gambetta.

La Ville d’Orléans s’éleva rapidement jusqu’à 800 mètres, hauteur à laquelle elle se maintint longtemps. On jeta du lest, pour monter plus haut, et le sable lancé de la nacelle tomba sans doute dans un camp prussien, car plusieurs détonations de mousqueterie se firent entendre aussitôt.

On atteignit ainsi la hauteur de 2 700 mètres.

Vers 3 heures et demie du matin, les voyageurs aériens commencèrent à entendre un bruit sourd, uniforme et prolongé, qu’ils attribuèrent au passage d’un train de chemin de fer.

Rolier résolut de faire descendre l’aérostat, pour s’assurer de la cause de ce bruit, dont la persistance et la monotonie commençaient à l’inquiéter ; car il n’entendait jamais le sifflet qui accompagne, d’ordinaire, le passage d’un train sur une voie ferrée.

Quand le ballon se fut abaissé, un brouillard intense vint l’envelopper. Au lever du jour, ce brouillard se dissipa, et laissa apparaître au-dessous de la nacelle un fond noir, assez mal défini, que l’on considéra comme une forêt.

Mais cette explication fut vite démentie, car, à mesure que le jour augmentait, on distinguait, dans le fond ténébreux, de petites taches blanches.

Rolier attribua ces taches à de la neige, qui devait couvrir certaines parties du sol.

Seulement, le même bruit de bourdonnement sourd et monotone, qui continuait de se faire entendre, rendait douteuse l’explication des taches blanches par l’existence de la neige sur le sol.

Les voyageurs n’étaient donc rien moins que rassurés.

En fixant attentivement une de ces taches, on reconnut qu’elle se déplaçait. Toutes les autres se déplaçaient également, et le bruit augmentait d’une lugubre façon.

Une sueur froide couvrit le corps de Rolier : il venait de reconnaître, avec épouvante, que le gouffre obscur au-dessus duquel il planait depuis trois heures n’était ni une voie ferrée, ni une forêt, ni la terre couverte de neige, mais la mer !

C’était, en effet, sur la mer du Nord que planaient les malheureux aéronautes. Les taches mobiles étaient le résultat du mouvement des vagues.

Il était alors 6 heures du matin.

Quelle triste situation que celle de ces deux hommes, que la destinée avait d’abord livrés aux caprices de l’air, pour les précipiter ensuite dans les flots, sans espoir de salut.

Au lever du soleil, le brouillard s’était dissipé ; ce qui leur permettait de mieux embrasser l’étendue immense de l’Océan, et la grandeur du péril.

Les rayons du soleil qui venaient frapper le ballon dilataient fortement le gaz, et le faisaient sortir en partie par l’orifice inférieur de l’appendice, lequel, devenu flasque et plissé, flottait au gré du vent ; ce qui accélérait encore la perte du gaz.

Poussée par un vent assez fort, la Ville d’Orléans rasait la surface des flots.

Elle était ainsi entraînée depuis une heure au-dessus des vagues, quand un navire se montra à l’horizon, paraissant s’avancer dans sa direction. Mais il y avait encore entre le navire et les malheureux naufragés une distance de 500 mètres.

Une violente secousse vint les arracher à leur préoccupation. La nacelle n’était plus qu’à 4 ou 5 mètres des vagues : ils allaient être engloutis (fig. 503) !

Rolier s’empresse de jeter deux sacs de