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Scott de solliciter du Ministre de l’instruction publique, un encouragement pécuniaire, pour la continuation de ses expériences. Mais ses démarches n’aboutirent qu’à une fin de non-recevoir, nettement formulée.

Cette dernière période des tentatives du malheureux inventeur est consignée dans une lettre que Léon Scott m’adressa, le 13 mars 1879, et que l’on me permettra de rapporter ici, car c’est un véritable document historique sur des faits trop peu connus.

Voici donc la lettre de Léon Scott :

Paris, 13 mars 1819.
À Monsieur Louis Figuier,

J’ai reçu l’exemplaire dont vous avez bien voulu me faire don de la vingt-deuxième année de la belle publication scientifique que vous poursuivez avec une perfection qui ne s’est jamais démentie. Vous avez parlé de votre pauvre protégé de 1856, avec ce tact et ce bon cœur que connaissent tous les travailleurs scientifiques, et qui vous fait tant d’honneur. Je vous en remercie de toute mon âme.

Je vous dois, monsieur, un récit succinct de mes démarches pour revendiquer la part qui m’appartient dans l’invention des procédés de la phonographie, et pour poursuivre le but primitif que je m’étais proposé, beaucoup plus important, selon moi, que celui atteint par le phonographe Edison. Vous vous souvenez que je ne voulais pas répéter la parole, mais l’inscrire en caractères acoustiques.

Le constructeur qui, deux ans après les expériences que vous connaissez, s’était adressé à moi, M. Rudolph Kœnig (de Kœnigsberg), s’était arrangé pour s’approprier le produit des brevets et, avec le concours de M. l’abbé Moigno, s’emparer pour lui seul de la coïnvention. C’est là l’écueil de tous les inventeurs qui ne sont pas gens de métier et entrepreneurs.

Comme l’Académie n’avait pas voulu s’intéresser à ma communication du 15 juillet 1861 au sujet de l’inscription au moyen de solides (chaîne artificielle des osselets), je laissai tomber, par découragement, mes brevets en février 1864. M. Kœnig resta maître du terrain et ne fit rien de bon du phonautographe, entiché qu’il était des résonnateurs de M. Helmötz et des flammes chantantes. D’ailleurs, M. Kœnig a toujours été hostile aux travailleurs français.

Quand parut, en décembre 1871, l’invention de M. Edison, proclamée comme la huitième merveille du monde, j’y reconnus immédiatement l’adaptation de cinq des moyens de mon brevet du 25 mars 1857 et du certificat d’addition du 29 juillet 1859. Je me présentai alors chez le célèbre professeur de physique de l’École polytechnique, M. Jamin, qui m’accueillit fort bien, reconnut de très bonne grâce qu’il avait été mis en erreur au sujet de la coïnvention de M. Kœnig et qui me conseilla de m’adresser directement au ministre de l’instruction publique, pour lui demander un subside de deux mille francs, afin de poursuivre mes expériences à partir du point où je les avais laissées en 1861, et en mettant à profit de nouveaux ajustements que j’avais conçus depuis cette, époque.

M. Jamin poussa la bonté jusqu’à me remettre, pour M. le ministre de l’instruction publique (alors M. Bardoux), une lettre ainsi conçue :

« Termes, par Grandpré (Ardennes), 23 septembre 1878.
« Monsieur le Ministre,

« M. Scott de Martinville a imaginé, il y a une dizaine d’années, un appareil nommé phonautographe qui écrit sur un cylindre tournant les vibrations de la parole : cet appareil, qui est dans tous les cabinets de physique, est une des pièces du phonographe.

» M. Edison, à la vérité, a réussi à reproduire la parole avec cette écriture, ce qui est un progrès considérable ; mais M. Scott avait résolu la moitié du problème. C’est un ancien ouvrier typographe, et ce sont des difficultés d’argent qui l’ont arrêté dans des recherches du plus haut intérêt.

» Tout n’est pas fini ; on peut maintenant étudier les relations de l’écriture autographique avec la parole elle-même et apprendre à quelles sortes de vibrations correspondent les diverses voyelles. Cette question, M. Scott croit pouvoir la résoudre ; mais il lui faudrait un secours d’argent que j’ai l’honneur de demander pour lui à Votre Excellence, sachant avec quelle libéralité vous favorisez les études scientifiques. Jamais un meilleur emploi ne pourra être fait des fonds de l’État.

« Veuillez agréer, monsieur le ministre, l’assurance de tout mon respect.

« J. Jamin. »

M. Bardoux accorda une audience à mon ami, M. Jules Baudry, éditeur, qui voulut bien me présenter au ministre. Ce dernier se montra frappé de la lettre de M. Jamin, et me prodigua le baume de ses belles promesses et de ses protestations de bonne volonté. Il renvoya ma demande à un comité existant dans son ministère, pour l’encouragement des études scientifiques.

Le rapporteur était M. Paul Desains, de l’Académie des sciences. Cet excellent homme voulut