Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 6.djvu/99

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La poudre verte était un mélange d’acide picrique avec du chlorate et du prussiate de potasse ; la poudre de Désignolle était un mélange de picrate de potasse, de salpêtre et de charbon ; la poudre Fontaine un mélange, à parties égales, de picrate de potasse et de chlorate de potasse ; enfin le picrate d’ammoniaque mélangé au salpêtre a donné naissance à la poudre blanche Bruyère, ou poudre Abel.

Nous n’avons pas à insister sur la composition, la fabrication et les propriétés des poudres au picrate, car on ne les utilise plus aujourd’hui, leur manipulation exposant aux plus graves dangers. De fréquents accidents arrivés à la poudrerie du Bouchet, où l’on fabriquait la poudre de Designolle, et surtout l’explosion qui eut lieu à Paris, sur la place de la Sorbonne, en 1869, où de grandes quantités de poudre Fontaine avaient été emmagasinées, firent renoncer à ces dangereuses substances.

L’explosion de la place de la Sorbonne, arrivée en plein Paris, au milieu d’un quartier populeux, fit de nombreuses victimes. Nous en rappellerons les péripéties.

M. Fontaine, fabricant de produits chimiques, dont le magasin était situé au coin de la place Sorbonne et de la rue de ce nom, fabriquait, pour le compte de l’État, la poudre au picrate et au chlorate de potasse, qu’il avait inventée, et à laquelle il avait donné son nom : la poudre Fontaine, Le 16 mars 1869, à 4 heures de l’après-midi, les employés de la fabrique étaient occupés à emballer dans des caisses une très grande quantité de cette poudre, pour l’envoyer à Toulon, où elle devait servir au chargement de torpilles.

On ne sait par quelle cause, mais probablement par un choc que dut recevoir une certaine quantité du mélange détonant, le produit s’enflamma, et toute la provision de poudre au picrate sauta aussitôt. L’explosion fut formidable ; les maisons furent secouées ; les passants heureusement peu nombreux, jetés à terre, étaient meurtris par des éclats de vitres et par les débris hachés des vitrines ou des comptoirs, qui entrèrent par toutes les fenêtres de l’hôtel du Périgord, situé en face.

Plusieurs femmes sautèrent dans la rue, l’une du quatrième, dans un état déplorable. Une autre tomba du premier, dans les bras de gens qui rendirent, à leurs dépens, sa chute moins dangereuse.

Dans les alentours de la place Sorbonne, et sur cette même place, on crut à un tremblement de terre : les meubles s’étaient déplacés, les objets posés sur des étagères avaient été renversés ; des fenêtres s’étaient ouvertes d’elles-mêmes ; les persiennes étaient sorties de leurs gonds.

Toutes les croisées de la façade du lycée Saint-Louis, sur le boulevard Saint-Michel, étaient endommagées.

Quelques secondes après l’explosion, une épaisse fumée, mélangée de flammes bleuâtres, s’échappait du rez-de-chaussée de la maison, occupée par la fabrique de produits chimiques.

Pendant une demi-heure, sur la place Sorbonne, on entendit pousser des cris déchirants. Le spectacle le plus navrant, c’était celui que l’on voyait à chaque fenêtre des cinq étages de la maison. Les locataires, reconnaissant que c’était au rez-de-chaussée de leur habitation qu’existait le foyer de l’incendie, furent pris d’une terreur, que l’on comprend aisément. Ils voulurent fuir par l’escalier, mais la fumée asphyxiante qui montait par la cage de l’escalier les forçait à rentrer. C’est alors que l’on vit des locataires descendre par les fenêtres et les persiennes, d’un étage à l’autre, au risque de tomber sur le trottoir, et de se briser la tête.

D’autres locataires voulaient se jeter par les croisées. On eut toutes les peines du monde à obtenir qu’ils attendissent qu’on