Page:Filiatreault - Contes, anecdotes et récits canadiens dans le langage du terroir, 1910.djvu/15

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Écoute donc, veux-tu du laitte dans ton verre ?

— Non, marci, mais t’es pas pour me « bluffer ». Donne-moé une autre aiguille, parce qu’il y avait deux jaunes dans c’t’œuf-là. Amène-toé tout d’suite.

Baptiste revint à la maison avec ses deux aiguilles et sa femme lui raccommoda son fond de culotte en bouracan. Cette culotte était à la bavaroise. Le lendemain Baptiste partait pour la ville et logeait dans un hôtel du carré Chaboillers où deux escaliers à la suite, l’un de l’autre donnaient accès au deuxième étage. Au moment de se mettre au lit, Baptiste ôta sa culotte et la jeta négligemment sur une chaise. Vers trois heures du matin, un incendie se déclara dans les environs, et Baptiste fut réveillé en sursaut par le vacarme d’enfer causé par l’arrivée des pompiers. En effet, les pompes à vapeur, les échelles de sauvetage, les wagons, les dévidoirs, les voitures d’ambulance, enfin, tout le tremblement, étaient là. Baptiste, tout abasourdi, s’élança hors du lit et se jeta dans sa culotte, mais, par malheur, elle se trouvait sens devant derrière, de telle sorte que toute la devanture bombait. Dans sa précipitation, en arrivant à la tête de l’escalier supérieur, il manqua la première marche et descendit tête bêche les deux escaliers jusque sur le trottoir. On s’empressa de le relever et comme on lui demandait s’il s’était fait mal, il répondit ;

— C’est pas d’ce que j’m’su’ fait mal, mais en me r’gardant comme y faut, j’m’aperçois que j’su’ détord en bedeau !