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quée de son peu d’empressement finit par lui décocher une remarque :

— Une autre fois, quand tu auras le bleu, que tu auras le cœur tout plein de ta payse, tu feras mieux de demander quelqu’un autre pour te servir d’amusement, de…

Il parut s’éveiller d’un songe.

— Que dis-tu là Lucille ? me servir d’amusement, de…

— Mais oui, te servir de Madelon, je me suis mal exprimée, tu dois comprendre mieux.

— De Madelon… il paraissait descendre de la lune.

— Mais, comprends donc que je ne suis pas dupe. Tu ne penses pas à moi ce soir, à moi qui suis si près de toi ; par la pensée, tu es avec ta payse, et tu as désiré ma présence pour te créer une chimère.

Il n’était pas de Montréal, de la grande ville où viennent tous les jeunes gens de la campagne, qui désertent volontairement ou qui y sont forcés, il était d’une région agricole située en bas de Québec. Il y avait toujours eu dans le cœur de Lucille une défiance à son égard. Elle avait sans cesse imaginé qu’il y avait dans le petit village qu’il avait laissé, une jeune fille élevée comme lui, ayant les mêmes idées, le même idéal, qu’il aimait d’amour et qu’il irait chercher quand viendrait le temps de se marier. Toujours, elle avait eu cette impression, et ce soir plus fortement qu’à l’ordinaire : qu’elle n’était qu’un passe-temps, quelqu’un à qui on s’adresse quand on a besoin d’être réconforté, d’être