Page:Firmin - De l’égalité des races humaines.djvu/450

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la voix précieuse était alors si sympathique, si écoutée parmi la génération brillante et généreuse qui venait d’éclore avec la floraison printanière des idées de 1789. Capo d’Istria, grec d’origine et de cœur, était russe par sa position officielle et européen par ses relations générales. Avec de tels éléments, en face de la Turquie, dont le croissant commençait à pâlir depuis la paix de Passarowitz, en 1718, pour perdre enfin son dernier éclat à la paix de Bukharest, en 1812, la cause de l’indépendance de la Grèce ne pouvait que triompher.

On aurait juré qu’une fois dégagés de l’oppression ottomane, les Hellènes allaient reprendre leur ancien lustre et faire briller mille qualités nationales dont leur nom seul inspire l’idée. Mais ce serait bien à tort.

Malgré plus d’un demi-siècle d’indépendance ; malgré tous les beaux souvenirs de leur histoire et le continuel contact de l’élite de l’Europe qui va dans leur pays admirer les ruines de la civilisation antique, étudier les arts qui ont fleuri avec une élégance incomparable sous le ciel clair et bleu de l’Attique, les Grecs restent encore, pour la meilleure partie, entièrement indifférents aux choses de l’esprit. Parmi eux le sentiment esthétique reste absolument en sommeil, sauf d’honorables, mais de fort rares exceptions. Archéologues et artistes des contrées civilisées de l’Europe s’attristent de voir jusqu’à quel point une coupable négligence laisse se détériorer les plus beaux produits de l’art, lorsque l’étroitesse de l’esprit national traduite en décision légale empêche que la science n’en profite. Les petits-fils des anciens Athéniens sont gourmandés par les arrière-neveux des anciens Celtes et en sont traités avec mépris. « Quod non fecere Barbari, fecere Grœculi[1]. »

  1. Voir Salomon Reinach, Le vandalisme en Orient, dans la Revue des Deux-Mondes du 1er  mars 1883.