Page:Firmin - De l’égalité des races humaines.djvu/552

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Cette sombre et horrible histoire est celle de toute la traite. Le plus souvent les esclaves transportés aux Antilles furent aussi témoins de ces sanglantes exécutions. Ils n’arrivèrent sous le nouveau ciel, où les avait transportés la rapacité sanguinaire des négriers, qu’avec une terreur qui avait réduit à moins que rien leurs aspirations vers la liberté perdue. Par le tableau saisissant qu’a fait Frédérick Douglass de la vie de l’esclave, en qui l’on devine le moindre indice d’intelligence, nous savons déjà que cette crainte profonde inspirée par le maître est entretenue par un traitement infernal, inouï. Lorsque, par un effort d’imagination, on se figure l’esclave jeté comme une marchandise avilie sur des rives étrangères et lointaines ; abruti et terrassé avant qu’il ait touché à cette terre où tout lui est inconnu ; battu et plié sous le faix, mal nourri et travaillant sans relâche, on se demande involontairement comment un être aussi abaissé, aussi dégradé peut-il conserver la moindre étincelle d’esprit, la moindre idée de liberté, le moindre sentiment de cette fierté naturelle qui nous fait sentir, chacun au fond de sa conscience, que nous sommes faits pour dominer le reste de la création !

Pour moi, j’avoue bien franchement que je ne puis m’empêcher d’être fier de mes pères, quand je me reporte par la pensée à cette époque de misère ou, rivés à une existence infernale, ayant le corps brisé par le fouet, la fatigue et les chaînes, ils gémissaient en silence, mais conservaient dans leur poitrine haletante le feu sacré qui devait produire l’explosion superbe de la liberté et de l’indépendance ! Mais il y a bien plus. À peine deux générations après la proclamation de la liberté des noirs, en Haïti, une transformation complète s’était opérée dans la nature de ces hommes. C’est en vain que tout semblait les condamner à vivre éternellement dans l’état d’infériorité auquel ils étaient réduits et qu’on empirait chaque jour.