Page:Firmin - De l’égalité des races humaines.djvu/566

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Plus heureux que Douglass et d’autres esclaves, il eut un maître qui ne fit rien pour contrarier ses progrès. Le colon français de Saint-Domingne était d’ailleurs un homme aimant le luxe et la distinction. Celui dont Toussaint-Louverture était l’esclave ne fut donc pas peu flatté d’avoir un tel nègre : il en fit un cocher, dont l’habileté et les manières étaient une cause de légitime orgueil pour son maître.

Ce fut a cinquante ans que notre héros commença sa carrière active, en qualité de médecin, dans les colonnes de Jean-François et de Biassou. Déjà toute la partie septentrionale de Saint·Domingue était à feu et à sang. Les Noirs, répondant partout au cri de la révolte, s’étaient insurgés, décidés à disparaître en même temps que l’île, plutôt que de continuer à vivre sous le joug ignominieux de l’esclavage. Ils brûlaient tout devant eux. Terrible, mais nécessaire dévastation ! Ils avaient compris que l’amour des colons n’était pas positivement pour une terre dont les sites pittoresques et enchanteurs sont une captivante jouissance pour les yeux et pour l’âme ; mais bien plus pour les immenses richesses, habitations somptueuses, vastes plantations, tous les raffinements du luxe entretenus par la sueur et les tortures de l’esclave ! Tous ceux dont la froide cruauté et la brutalité cynique avaient fait germer dans le cœur du noir la haine amère et la soif inextinguible de la vengeance, durent fuir, épouvantés, ces lieux où se prélassait naguère leur orgueilleuse paresse. Tel dont les pieds ne foulaient que les tapis moelleux, dont les lèvres n’abordaient que les coupes d’or payées par le sang et les larmes de l’Africain flagellé, surpris en plein sommeil par la flamme sinistre et crépitante de l’incendie vorace, courait, nu et désespéré, se jeter dans une embarcation fugitive, trop heureux de trouver une écuelle qui le dispensât de boire dans le creux de sa main ! Partout, l’horizon était