Page:Firmin - De l’égalité des races humaines.djvu/581

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tout ce qu’il paraîtrait insensé de rechercher pour soi-même. Pourvu qu’il s’agisse d’un but patriotique à atteindre, il semble que tous les moyens deviennent légitimes ; toutes sortes d’habiletés, justifiables. Scipion l’Africain, accusé de corruption, se contenta, pour toute défense, de dire à la foule réunie au forum : « Romains, c’est à pareil jour que j’ai vaincu Annibal à Zama ; allons au Capitole en rendre grâce aux dieux. » De même fait aujourd’hui le politicien qui a commis les plus grands forfaits contre la morale et a le droit ; il se contente de répondre à toutes les accusations : « J’ai agi en patriote, je ne puis être jugé que par mes pairs ! » En se défendant ainsi, on obtient infailliblement les applaudissements de la foule, toujours impressionnable, toujours prête à se laisser entraîner par les grands mouvements de l’âme.

L’empire que prend actuellement sur les esprits l’idée de la patrie, si bien faite pour inspirer à l’homme les actions éclatantes comme les grandes pensées, s’explique d’ailleurs facilement. C’est une conception de plus en plus claire, de plus en plus large des devoirs auxquels chacun est moralement assujetti envers le pays où il est né, où il s’est développé, en y prenant tout : ses habitudes, son éducation, son esprit. Mais quelque élevée, quelque abstraite que soit cette idée, elle ne pourrait subsister longtemps si elle ne s’adaptait à des formes tangibles qui en constituent la représentation concrète et lui donnent un caractère pratique à l’aide duquel on puisse vérifier ses manifestations, sans aucune équivoque. Le patriotisme devait donc se traduire naturellement par une affection sans égale pour la terre natale. Mais, en elle, on ne voit surtout que ceux qui ont joui et souffert avec nous ou dont les pères ont eu à conjouir et condouloir avec les nôtres ; ceux qui forment avec nous une réunion ou les aspirations communes sont soutenues par un ensemble de