Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 1.djvu/101

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Ah, nom de Dieu ! quand serai-je quitte de ces bougres-là ? Heureux le jour où je fouterai le collège[1] au Diable ; heureux, trois fois heureux, ter, quaterque beatus, celui qui comme toi en est sorti ! Mais encore un an, et après en route ! Sur laquelle ? Je n’en sais rien, mais je voguerai loin de cette galère et c’est tout ce que je demande maintenant.

Il y a pourtant bientôt un an que nous ne nous sommes vus ; cela est long. Dis-moi quand tu viendras à Rouen passer quelques jours avec nous. Nous recommencerons nos usuelles promenades sur les coteaux, la pipe à la bouche, tout seuls, parlant dans les champs. Tu me diras toute ta vie de cette année, tes joies et tes ennuis, ce que tu as fait. Nous nous verrons un peu face à face. Et moi, qu’aurai-je à te dire ? Rien, presque rien. Ma vie est vide, mon cœur ne l’est pas moins.

Eh bien, me voilà presque sorti des bancs, me voilà sur le point de choisir un état. Car il faut être un homme utile et prendre sa part au gâteau des rois en faisant du bien à l’humanité et en s’empiffrant d’argent le plus possible. C’est une triste position que celle où toutes les routes sont ouvertes devant vous, toutes aussi poudreuses, aussi stériles, aussi encombrées, et qu’on est là douteux, embarrassé sur leur choix.

J’ai rêvé la gloire quand j’étais tout enfant, et maintenant je n’ai même plus l’orgueil de la médiocrité. Bien des gens y verront un progrès ; moi j’y vois une perte. Car enfin, pourvu qu’on ait

  1. Voir Mémoires d’un Fou, dans Œuvres de jeunesse inédites, I, p. 490.