Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 1.djvu/102

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une confiance, chimérique ou réelle, n’est-ce pas une confiance, un gouvernail, une boussole, tout un ciel pour nous éclairer ? Je n’ai plus ni convictions, ni enthousiasme, ni croyance. J’aurais pu faire, si j’avais été bien dirigé, un excellent acteur, j’en sentais la force intime ; et maintenant je déclame plus pitoyablement que le dernier gnaffe, parce que j’ai tué à plaisir la chaleur. Je me suis ravagé le cœur avec un tas de choses factices et des bouffonneries infinies ; il ne poussera dessus aucune moisson ! Tant mieux ! Quant à écrire, j’y ai totalement renoncé, et je suis sûr que jamais on ne verra mon nom imprimé ; je n’en ai plus la force, je ne m’en sens plus capable, cela est malheureusement ou heureusement vrai. Je me serais rendu malheureux, j’aurais chagriné tous ceux qui m’entourent. En voulant monter si haut, je me serais déchiré les pieds aux cailloux de la route. Il me reste encore les grands chemins, les voies toutes faites, les habits à vendre, les places, les mille trous qu’on bouche avec des imbéciles. Je serai donc bouche-trou dans la Société, j’y remplirai ma place, je serai un homme honnête, rangé, et tout le reste si tu veux ; je serai comme un autre, comme il faut, comme tous, un avocat, un médecin, un sous-préfet, un notaire, un avoué, un juge tel quel, une stupidité comme toutes les stupidités, un homme du monde ou de cabinet, ce qui est encore plus bête, car il faudra bien être quelque chose de tout cela et il n’y a pas de milieu. Eh bien, j’ai choisi, je suis décidé : j’irai faire mon droit, ce qui au lieu de conduire à tout ne conduit à rien. Je resterai 3 ans à Paris, à gagner des véroles et ensuite ? Je ne désire plus qu’une chose,