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DE GUSTAVE FLAUBERT.

126. À LA MÊME.
En partie inédite.
[Dimanche, 23 août 1846.]

Quand le soir est venu, que je suis seul, bien sûr de n’être pas dérangé, et qu’autour de moi tout le monde dort, j’ouvre le tiroir de l’étagère dont je t’ai parlé et j’en tire mes reliques que je m’étale sur ma table ; les petites pantoufles d’abord, le mouchoir, tes cheveux, le sachet où sont tes lettres ; je les relis, je les retouche. Il en est d’une lettre comme d’un baiser, la dernière est toujours la meilleure. Celle de ce matin est là, entre ma dernière phrase et celle-ci qui n’est pas finie ; je viens de la relire afin de te revoir de plus près et de sentir plus fort le parfum de toi-même. Je rêve à la pose que tu dois avoir en m’écrivant et aux longs regards vagues que tu jettes en retournant les pages. C’est sous cette lampe qui a donné sa lumière à nos premiers baisers, et sur cette table où tu écris tes vers. Allume-la le soir, ta lampe d’albâtre ; regarde sa lueur blanche et pâle en te ressouvenant de ce soir où nous nous sommes aimés. Tu m’as dit que tu ne voulais plus t’en servir. Pourquoi ? Elle est quelque chose de nous. Moi je l’aime.

J’aime tout ce qui est chez toi ou à toi, tout ce qui t’entoure et te touche. Sais-tu que je suis tout dévoué à M. et Mme Ségalas qui étaient là, et même à ce bon bibliophile dont la visite prolongée m’agaçait les nerfs. Pourquoi ? Qui le dira ? C’est