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XXXI
SOUVENIRS INTIMES

chaque dimanche, venait jusqu’au lundi matin. Une partie de la nuit se passait à lire le travail de la semaine. Quelles bonnes heures d’expansion ! C’étaient de grands cris, des exclamations sans fin, des controverses pour le rejet ou le maintien d’une épithète, des enthousiasmes réciproques ! Trois ou quatre fois par an, il allait à Paris passer quelques jours et descendait à l’hôtel du Helder. Toutes ses distractions se bornaient à ces courtes absences.

Cependant, en 1856, se décidant à publier Madame Bovary, Gustave Flaubert vint habiter, 42, boulevard du Temple, dans une maison appartenant à M. Mourier, directeur du théâtre des Délassements-Comiques. Bouilhet, cette année-là, devait faire représenter sa première pièce, Madame de Montarcy, à l’Odéon. Il avait déjà précédé son ami, quitté Rouen et sa profession de répétiteur pour se livrer uniquement aux lettres. Ma grand’mère ne tarda pas à les rejoindre ; elle venait quelques mois d’hiver dans un appartement meublé et s’installa définitivement, deux ans plus tard, dans la même maison que son fils, l’étage au-dessous.

Bien qu’habitant si près, nous étions fort indépendants. Mon oncle avait emmené à son service comme valet de chambre un nommé Narcisse, le plus bizarre individu possible. Ce garçon avait été domestique chez mon grand-père ; sa drôlerie et son zèle décidèrent mon oncle à l’appeler près de lui. Narcisse, établi cultivateur, marié et père de six enfants, avait quitté avec le plus grand empressement femme et famille pour suivre le fils de son ancien maître, pour lequel il avait un respect mêlé de fanatisme, mais joint à cela le plus grand oubli des distances. Un jour, il était rentré complètement ivre, mon oncle l’aperçut assis ou plutôt tombé sur une chaise dans sa cuisine. Il l’aida à gagner sa chambre et à s’étendre sur son lit. Narcisse alors d’un air suppliant : « Ah