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CORRESPONDANCE

être ! comme il continue son œuvre, serein et fort ! L’Art, tu le vois, lui en sait gré et le récompense par les mâles satisfactions qu’il lui procure.

Comme il fait beau ce soir ! Comme tout repose ! Je n’entends que le battement de ma pendule et à peine le bruit de l’air qui passe dans les arbres. La rivière brille sous la une, les îles sont noires, le gazon vert émeraude. Tu veux venir ici, mon héroïne ; c’est par une nuit semblable qu’il ferait bon te recevoir.

Je me figure ta tête et ta gorge nues, éclairées par l’astre pâle. Je vois tes yeux briller dans l’ombre bleue.

Sais-tu que ce serait royal et magnifiquement beau ? toi faisant 60 lieues pour passer quelques heures dans le petit kiosque de là-bas… Mais à quoi bon songer à de pareilles folies ! C’est impossible : tout le pays le saurait le lendemain ; ce serait d’odieuses histoires à n’en plus finir.

Un long baiser néanmoins, pour y avoir pensé. Merci de cet élan ! Je l’ai compris. J’ai senti nos heureuses angoisses réciproques, toi arrivant et attendant le signal convenu, moi guettant l’heure et épiant ta venue.

Quand je te reverrai, n’est-ce pas, tu ne pleureras pas trop ; tu ne m’affligeras pas trop. Tu seras sage ; j’en ai besoin ; sois-le. J’en vois tant couler, de larmes, que vraiment j’ai besoin de sourires. Bientôt, j’espère, d’ici à peu de jours nous pourrons nous voir. Du Camp s’en retourne à Paris et il nous vient ici des parents de la Champagne, une nièce de mon père, avec son officiel et ses enfants. J’irai lui faire la conduite soi-disant jusqu’à Gaillon, pour aller voir ensemble le châ-