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XXXII
SOUVENIRS INTIMES

Monsieur ! mettez le comble à vos bontés, retirez-moi mes bottes. » Et ce fut fait par le maître si indulgent.

Les amis s’amusaient des réflexions de ce garçon et de ses réparties ; certains lui envoyaient leurs livres. On le trouvait assis dans le cabinet de travail ou devant la bibliothèque, un plumeau sous le bras, un livre dans la main ; il lisait à haute voix, imitant son maître. Mais ce lyrisme artistique joint à l’abus des petits verres détraqua complètement la cervelle du pauvre diable ; il fut obligé de retourner aux champs.

Pendant ces mois d’hiver, je regrettais les jours d’été, car le grand succès de Madame Bovary suivi d’un procès retentissant avait de suite donné à mon oncle une célébrité qui le faisait rechercher. Il sortait beaucoup, je le voyais moins.

L’appartement du boulevard du Temple se fleurissait à certains jours ; c’était un plaisir d’y donner des petits repas intimes ; je me souviens de ceux auxquels je prenais part et qui réunissaient autour de la table Sainte-Beuve, M. et Mme Sandeau, M. et Mme Cornu, ces derniers amenés par Jules Duplan, le si fidèle ami de Gustave Flaubert ; Charles d’Osmoy, Théophile Gautier venaient aussi très souvent, et le dimanche la porte s’ouvrait plus grande, les amis étaient nombreux.

Cette époque fut pour mon oncle le début de plusieurs relations qu’il conserva jusqu’à sa mort. Il fréquentait assidûment le salon de la princesse Mathilde ; il y trouvait réunis des savants, des artistes, quelques amis intimes et goûtait fort ce milieu intellectuel et mondain. Il alla aussi aux Tuileries et fut invité à Compiègne ; de son séjour au château lui vint la pensée d’un grand roman qui devait mettre en présence la civilisation française et la turque.

Puis il y avait aussi les dîners chez Magny, qui,