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DE GUSTAVE FLAUBERT.

a un vers dont je me souviens, qui m’a joliment fait rire :

Comme un buffle indompté des déserts d’Amérique.

Je fais un triste buffle, va ! et la rime athlétique, qui vient après, n’est pas faite pour moi. Je suis de tempérament fort peu gaillard ; mais le corps se sent toujours un peu de l’âme, le gant prend le pli de la main. Au reste, il m’a semblé qu’il y avait de vraies belles choses.

Soigne ta pauvre gorge. Reste chez toi et chauffe-toi à outrance, et surtout ne m’écris plus de phrases pareilles à celle-ci : « Va à Dieppe, amuse-toi bien. » Justement je suis un homme qui m’amuse tant d’habitude que ça en ferait pleurer ceux qui pourraient en voir le fond. De qui diable veux-tu donc que je te parle, si ce n’est de Shakespeare, si ce n’est de ce qui me tient le plus au cœur ? Que j’aie, suivant ta remarque, plus d’imagination que de cœur, je le voudrais bien, mais j’en doute ; car je trouve, moi, que j’en ai très peu. Quand je considère mes plans d’un côté et l’Art de l’autre, je m’écrie comme les marins bretons : « Mon Dieu, que la mer est grande et que ma barque est petite ! » Est-il possible que tu me reproches jusqu’à l’innocente affection que j’ai pour un fauteuil ! Si je te parlais de mes bottes, je crois que tu en serais jalouse. Allons, va ! je t’aime bien tout de même et je te baise sur les lèvres, ma mignonne. Encore un baiser entre les deux seins, un sur chaque doigt. Soigne ta main et laisse-toi pousser les ongles plus longs ; tu sais que tu me l’as promis.

Adieu, adieu, mille chaudes caresses.