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CORRESPONDANCE

fumet plus âcre. Il ne faut pas en croire ce qu’il peut te dire de moi sous le rapport littéraire. M’aimant comme il m’aime, il est partial sans doute. D’abord je suis un peu son maître ; je l’ai tiré de la bourbe du feuilleton où il serait maintenant enfoui pour le reste de sa vie — si ce n’est étouffé — et je lui ai inspiré l’amour des études sérieuses. Il a fait depuis deux ans de grands progrès ; il a maintenant un joli talent ; il en aura un beau plutôt. C’est surtout le sentiment et le goût qui dominent en lui ; il attendrit. Je connais une chose de lui que je ne peux pas lire sans larmes dans les yeux. Et avec toutes ces bonnes qualités, il est modeste comme un enfant. À propos de gens qui disent du bien de moi, méfie-toi du brave Toirac. C’est un malin, et peut-être ne s’étend-il si fort en louanges sur mon compte que pour y voir l’effet qu’elles font sur toi ; il aura sans doute soupçonné, à la manière dont tu parlais de moi, que tu ressentais quelque chose et, suivant la vieille tactique, il aura essayé l’apologie afin d’épier si elle t’était agréable ou indifférente.

Tu as une de tes connaissances qui doit aussi avoir de moi une furieuse idée. C’est Malitourne. Je dois lui paraître un géant de blague et de gaieté. Nous ne nous sommes vus qu’une fois chez Phidias, et avec la rousse de Marin. J’y ai été si crapuleusement aimable qu’à coup [sûr] il ne m’a pas oublié. J’étais ce jour-là en veine ; j’avais de la verve. En voilà encore un dans l’esprit duquel, j’imagine, je passe pour être un gaillard facétieux. J’ai passé pour être tant de choses, et on m’a trouvé des ressemblances avec tant de gens ! depuis ceux qui ont dit que je m’étais rendu malade