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CORRESPONDANCE

continue. Il y a quinze jours encore, tu ne m’envoyais que les caresses de ta pensée, avec toutes les voluptés que tu pouvais trouver dans tes phrases. Et tout à coup, sans que rien ait changé (puisque je t’avais dit que je viendrais quand la commission aurait fini ; te souviens-tu comme tu m’as remercié de la nouvelle que tu as lue dans l’escalier à la lueur de la lampe ?) ta voix s’est remplie de sanglots et je n’entends plus que tes cris de douleur qui m’accusent. Ta pauvre âme est comme un guerrier blessé ; par quelque côté qu’on veuille la prendre, on touche à une blessure, et on te fait souffrir.

Pourquoi, par exemple, m’accuser déjà de mon malheureux voyage en Bretagne ? Est-ce que je sais seulement si je le ferai ? Il y a tant de chances pour qu’il tombe à l’eau, comme tous mes autres projets, grands et petits ! D’ici à dix mois, que de choses peuvent nous le faire manquer ! maladie de l’un ou de l’autre, de ma mère, ou de n’importe qui d’ici, manque d’argent, etc.

Je ne t’en avais pas parlé puisque ça n’était nullement sûr et que ça ne l’est pas encore. Tu reviens toujours sur cette estimable mère Foucaud. Parce que je t’ai avoué cette faiblesse, tu me la reproches toujours. Je ne suis sensible à ce reproche que parce qu’il te fait mal à toi-même. Je me suis donc bien mal expliqué sur ce chapitre ! Je ne l’ai jamais aimée. Il me semble que, si tu as lu la lettre, c’était clair ; car tout en étant très galante, elle était d’une insolence rare. C’est du moins l’effet qu’elle m’a fait à moi. Il y a dans ta dernière, une phrase que je recopie pour que tu la relises, et ici je demande à ton esprit d’en juger la convenance et la bonté :