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DE GUSTAVE FLAUBERT.

des îles sont noirs ; ma pensée frileuse s’en va toujours de ces lieux et vole vers toi, pour s’y réchauffer dans ton souvenir. Je vois toujours ta tête animée se détachant sur le fond rouge des rideaux. Je sens tes papillotes légères sur ma poitrine, et toute la douceur de ta peau qui m’embrase le corps. N’est-ce pas que tu me promets d’être plus sage, ma pauvre enfant ? Ne pleure plus, Louise, par pitié pour moi, si ce n’est pour toi. Il me semble que l’amour doit résister à tout, à l’absence, au malheur, à l’infidélité, même à l’oubli. C’est quelque chose d’intime qui est en nous, et au-dessus de nous tout à la fois ; quelque chose d’indépendant de l’extérieur et des accidents de la vie. Nous aurons beau faire, nous serons toujours l’un à l’autre. Quand nous nous fâcherions, nous reviendrions toujours l’un vers l’autre, comme des fleuves qui rentrent dans leur lit naturel.

On ne peut se soustraire ai la fatalité de son cœur. Tu es à moi, je suis à toi. Qu’on en souffre ou qu’on en jouisse, il le faut ; cela est.

Du Camp t’a-t-il consolée un peu ? Tu as dû recevoir hier soir une lettre. Je ne sais pas ce que j’y disais ; je n’avais pas la tête à moi. C’est un bon ami que nous avons là !

Dans quel état t’ai-je laissée l’autre jour, mon Dieu !

Je te revois toujours dans le coin de la muraille, pleurant et te tordant. Tu m’accusais ! J’aurais voulu tomber à tes genoux et faire changer chaque sanglot en cri de bonheur. Sais-tu que ça faisait une scène, et que j’avais l’air d’un bourreau !

Adieu, adieu toi que j’aime. Je t’écrirai bientôt,