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CORRESPONDANCE

Mais peut-être as-tu raison ; je suis froid, vieux, blasé, plein de caprices et de niaiseries, et égoïste aussi, peut-être ! Qui ne l’est pas ? Depuis le gredin qui mettrait toute sa famille au pilon pour se faire un consommé tonique, jusqu’à l’intrépide qui se jette sous la glace pour sauver des inconnus, chacun ne cherche-t-il pas, d’après les appétits de sa nature, une satisfaction personnelle, qui tourne au détriment des autres, ou à leur avantage, selon l’objet de l’action ? Mais l’impulsion première est toujours du Moi, comme dirait le Philosophe, converge pour y retourner. N’importe ! que je sois ce que je suis ou tout autre, tu n’as pas affaire à un ingrat. On ressemble plus ou moins à un mets quelconque. Il y a quantité de bourgeois qui me représentent le bouilli : beaucoup de fumée, nul jus, pas de saveur. Ça bourre tout de suite, et ça nourrit les rustres. Il y a aussi beaucoup de viande blanche, de poissons de rivières, d’anguilles déliées vivant dans la vase des fleuves, d’huîtres plus ou moins salées, de tête de veau et de bouillies sucrées. Moi, je suis comme le macaroni au fromage, qui file et qui pue ; il faut en avoir l’habitude pour en avoir le goût. On s’y fait à la longue, après que bien des fois le cœur vous est venu aux lèvres. Que sont ces tristes penchants ? Ne vaudrait-il pas mieux prendre les poires qui pendent au haut des arbres, ou les melons qui jaunissent sur du bon fumier ?

Vivons donc ensemble, puisque tu t’y résignes. Te souviens-tu de ce vendredi où je ne suis pas venu chez Phidias ? Tu me l’as reproché, pauvre cœur ! C’est que je pressentais pour toi tous les ennuis que je t’ai donnés. Ces pleurs que tu