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DE GUSTAVE FLAUBERT.

Orient), avec sa fille. Leur fils, qui est un de mes camarades de collège, est dans ce moment à Sainte-Pélagie pour un an (et de plus 500 francs d’amende) pour avoir distribué des exemplaires de Napoléon-le-Petit — avis — et personne n’en sait rien.

J’ai demain à déjeuner un jeune homme[1] que Bouilhet m’a amené dimanche. Je l’avais connu enfant, lorsqu’il avait sept à dix ans. Son père, magistrat inepte, en faisait un perroquet et le poussait aux bonnes études. Mais malgré tous ses soins, il n’est point devenu crétin (ce qui désole le père) et il a pris en goût sérieux la littérature. Il est hugotique, rouge, etc. De là désolation de la famille, blâme de tous les concitoyens, mépris du bourgeois. Il désirait depuis longtemps faire ma connaissance. Je l’ai reçu carrément et dans tout le déshabillé franc de ma pensée. C’est ce qu’il faut faire aux gens qui viennent nous flairer par curiosité. S’ils sont choqués, ils ne reviennent plus ; et s’ils vous aiment, c’est qu’ils vous connaissent.

Quant à lui, il m’a paru être un assez intelligent garçon, mais sans âpreté, sans cette suite dans les idées qui seule mène à un but et fait faire les œuvres. Il donne dans les théories, les symbolismes, Micheletteries, Quinetteries (j’y ai été aussi, je les connais), études comparées des langues, plans gigantesques et charabias un peu vides. Mais en somme on peut causer avec lui pendant quelques heures ; or la graine est rare de ceux-là. Il habite Paris, a une vingtaine de mille francs de rente et va s’en aller en Amérique et de là aux Indes, pour son

  1. Eugène Crépet.