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CORRESPONDANCE

et que toutes les revues existantes sont d’infâmes putains, qui font les coquettes. Pleines de véroles jusqu’à la moëlle des os, elles rechignent à ouvrir leurs cuisses devant les saines créations que le besoin y presse. Eh bien ! il faut faire comme tu fais, publier en volume, c’est plus crâne, et être seul. Qu’est-ce qu’on a besoin de s’atteler au même timon que les autres et d’entrer dans une compagnie d’omnibus, quand on peut rester cheval de tilbury ? Quant à moi, je serais fort content si cette idée se réalise. Mais quant à faire partie effectivement de quoi que ce soit en ce bas monde, non ! non ! et mille fois non ! Je ne veux pas plus être membre d’une revue, d’une société, d’un cercle ou d’une académie, que je ne veux être conseiller municipal ou officier de la garde nationale. Et puis il faudrait juger, être critique ; or je trouve cela ignoble en soi et une besogne qu’il faut laisser faire à ceux qui n’en ont pas d’autre. Du reste, vois. Ce serait une bonne affaire et je souhaite qu’elle réussisse. Tu penses bien que j’y pourrais trouver mon profit, et que ce n’est donc pas le côté personnel qui me fait parler, mais plutôt le côté esthétique et instinctif, moral.

Le sieur Delisle me plaît, d’après ce que tu m’en dis. J’aime les gens tranchants et énergumènes. On ne fait rien de grand sans le fanatisme. Le fanatisme est la religion ; et les philosophes du XVIIIe siècle, en criant après l’un, renversaient l’autre. Le fanatisme est la foi, la foi même, la foi ardente, celle qui fait des œuvres et agit. La religion est une conception variable, une affaire d’invention humaine, une idée enfin ; l’autre un sentiment. Ce