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DE GUSTAVE FLAUBERT.

digner de tes titres : Poème de la femme ; Ce qui est dans le cœur des femmes ; Deux femmes célèbres ; Deux mois d’émotion. Mais saprelotte, tu vaux mieux que ça ! Tu te dégrades par l’enseigne.

Dans quelle fange morale ! dans quel abîme de bêtise l’époque patauge ! Il me semble que l’idiotisme de l’humanité arrive à son paroxysme. Le genre humain, comme un tériaki[1], saoul d’opium, hoche la tête en ricanant et se frappe le ventre, les yeux fixés par terre. Ah ! je hurlerai à quelque jour une vérité si vieille qu’elle scandalisera comme une monstruosité. Il y a des jours où la main me démange d’écrire cette préface des Idées reçues et mon Essai sur le génie poétique français.

Enfin, Pelletan ne fait pas de la correction de ce vers une condition sine qua non de ses articles. Dis-lui donc que tu as essayé de refaire ce vers, que c’est impossible, qu’on t’a rassurée, etc. (le malheureux, s’il avait vu tout ce qui n’est plus !).

Ah ! charmant mérite de Monsieur de Lamartine : « avoir purifié les mœurs des femmes ! ». D’abord je nie, et ensuite je m’en fouts. Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’il n’a pas purifié le langage françoys. Est-il peu shakespearien, rabelaisien, dantesque et fulgurant, ce bon barde-là ! Et je le déclare même sale, quand il veut faire de l’amour éthéré. Les déguisements virils de Laurence dans la grotte (dans Jocelyn), les filets avec quoi on se garrotte dans Raphaël, cette chasteté par ordre du médecin ! tout cela me dégoûte par tous mes instincts.

  1. Thériaque, électuaire où il entre de l’opium. Teriaki, en arabe, signifie « celui qui prend habituellement des thériaques » et, par extension, « celui qui fait usage de l’opium ».