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CORRESPONDANCE

que c’est fort, les tables tournantes. Ô lumière ! Ô progrès ! Ô humanité ! Et on se moque du moyen âge, de l’antiquité, du vicaire Paris, de Marie Alacoque et de la Pythonisse ! Quelle éternelle horloge de bêtises que le cours des âges ! Les sauvages qui croient dissiper les éclipses de soleil en tapant sur des chaudrons valent bien les Parisiens qui pensent faire tourner des tables en appuyant leur petit doigt sur le petit doigt de leur voisin. C’est une chose curieuse comme l’humanité, à mesure qu’elle se fait autolâtre, devient stupide. Les inepties qui excitent maintenant son enthousiasme compensent par leur quantité le peu d’inepties, mais plus sérieuses, devant lesquelles elle se prosternait jadis. Ô socialistes ! C’est là votre ulcère : l’idéal vous manque et cette matière même, que vous poursuivez, vous échappe des mains comme une onde. L’adoration de l’humanité pour elle-même et par elle-même (ce qui conduit à la doctrine de l’utile dans l’Art, aux théories de salut public et de raison d’État, à toutes les injustices et à tous les rétrécissements, à l’immolation du droit, au nivellement du beau), ce culte du ventre, dis-je, engendre du vent (passez-moi le calembour), et il n’y a sorte de sottises que ne fasse et qui ne charme cette époque si sage. « Ah ! moi, je ne donne pas dans le creux, dit-elle. Pauvres gens que ceux qui ont cru à l’apothéose ou au paradis ! On est plus positif maintenant, on, etc… ». Et quelle longueur de carotte pourtant avale ce bon bourgeois du siècle ! Quel nigaud ! Quel jobard ! Car la canaillerie n’empêche pas le crétinisme. J’ai déjà assisté, pour ma part, au choléra qui dévorait les gigots