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DE GUSTAVE FLAUBERT.

ses heures, quand les lèvres sont oisives ? À aimer ? à aimer ? Ces ivresses me surpassent et il y a là une capacité de bonheur et de paresse, quelque chose de satisfait qui me dégoûte. Ah ! poète, vous vous consolez dans la littérature. Les chastes sœurs viennent après madame et votre lyrisme n’est qu’un échauffement d’amour détourné. Mais il en est puni, ce brave garçon, la vie lui manque un peu dans ses vers, son cœur ne dépasse pas son gilet de flanelle et, restant tout entier dans sa poitrine, il n’échauffe point son style.

Et puis se plaindre, crier à la trahison, ne pas comprendre (et quand on est poète) cette suprême poésie du néant-vivant, de l’habit qui s’use, ou du sentiment qui fuit ! Tout cela est bien simple, pourtant. Je ne déclame pas contre ce bon Delisle, mais je dis qu’il me semble un peu ordinaire dans ses passions. Le vrai poète, pour moi, est un prêtre. Dès qu’il passe la soutane, il doit quitter sa famille.

Pour tenir la plume d’un bras vaillant, il faut faire comme les amazones, se brûler tout un côté du cœur.

Toi, tu es bien la meilleure femme du monde, et la plus candide nature. Ta proposition d’aller faire visite à cette dame n’avait pas le sens commun ; tu me permettras de te [le] dire. N’allais-tu pas plaider pour lui ? Et qu’aurais-tu répondu au premier mot, quand elle t’aurait répliqué : « De quoi vous mêlez-vous ? »

Il y a encore une chose qui m’a semblé légèrement bourgeoise dans ce même individu : « Je n’ai jamais pu voir une fille. »

Eh bien, je déclare que j’ai souvent pu, moi !