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CORRESPONDANCE

lant de nous, de moi surtout et, dans ses rabâchages c’est notre fortune, mes succès futurs, le moyen de me faire ma part, et mon éloge qui reviennent sans cesse. Cela me navre. Il croit que je vais publier dans six semaines, et dix-huit volumes d’un seul coup ! etc.

Nous n’avons pas de chance ma mère et moi. La tête finit par tourner aux gens qui nous entourent. En voilà deux (Hamard et lui) qui en pètent néanmoins, que ce soit cela ou autre chose ; sans compter Du Camp, qui n’est pas revenu de son voyage avec moi très sain non plus. Qu’ai-je donc ? Je sens bien en moi de grands tourbillons, mais je les comprime. Transpire-t-il quelque chose de tout ce qu’on ne dit pas ? Suis-je un peu fou moi-même ? Je le crois. Les affections nerveuses d’ailleurs sont contagieuses et il m’a peut-être fallu une constitution d’âme robuste, pour résister à la charge que mes nerfs battaient sur la peau d’âne de mon entendement.

Pour moi, j’ai un exutoire (comme on dit en médecine). Le papier est là, et je me soulage. Mais l’humidité de mes humeurs peut filtrer au dehors et, à la longue, faire mal. Il faut qu’il y ait quelque chose de vrai là dedans.

Pourquoi un phrénologue m’a-t-il dit que j’étais fait pour être un dompteur de bêtes féroces ? et un autre, que je devais magnétiser ? Pourquoi tous les fous et tous les crétins me suivent-ils sur les talons, comme des chiens (expérience que j’ai renouvelée plusieurs fois), etc… « Il ne vous arrivera rien de fâcheux », me dit Monsieur Jorche (drogman du consulat) à la première visite que je lui fis en arrivant à Alexandrie. — Pourquoi ? — Parce que