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DE GUSTAVE FLAUBERT.

dans des phrases qui en préciseraient mal l’étendue.

Personnellement, déjà, je vous ai vu ; nous nous sommes rencontrés quelquefois, vous m’ignorant, et moi vous considérant. C’était dans l’hiver de 1844, chez ce pauvre Pradier, de si gracieuse mémoire ! On était là cinq ou six, on buvait du thé, et l’on jouait au jeu de l’oie ; je me rappelle même votre grosse bague d’or, sur laquelle est gravé un lion rampant, et qui servait d’enjeu.

Vous avez depuis compromis d’autres enjeux, en des facéties plus terribles. Mais la patte du lion y était toujours. Il en porte au front la cicatrice, et les siècles le reconnaîtront à cette marque rouge, quand il défilera dans l’histoire.

Pour vous, du reste, qui sait ? Les faiseurs d’esthétique, dans l’avenir, remercieront peut-être la Providence de cette monstruosité, de cette consécration. Car ce qui complète la Vertu, n’est-ce pas le martyre ? Ce qui grandit encore la grandeur, n’est-ce pas l’outrage ? Et il ne vous aura rien manqué, ni du dedans, ni du dehors.

Recevez donc, Monsieur, avec l’hommage de toute mon admiration pour votre génie, l’assurance de tout mon dévouement pour votre personne.

Gust. Flaubert.
(Mme Farmer, Upper Holloway Manor road, no 5.
London.)