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CORRESPONDANCE

le veux à la fois plus épais et plus coulant. N’importe, je crois que cette semaine m’avancera et que, dans quinze jours à peu près, je pourrai lire à Bouilhet tout ce commencement (cent vingt pages). S’il marche bien, ce sera un grand encouragement et j’aurai passé sinon le plus difficile, du moins le plus ennuyeux. Mais que de retards ! Je n’en suis pas encore au point où je croyais être pour notre dernière entrevue à Mantes.

Quels sots et violents tracas tu as eus cette semaine passée, pauvre chère amie ! Sur de pareilles merdes qui nous viennent se déposer à nos pieds, le mieux qu’il y a à faire, c’est de passer de suite l’éponge et de n’y plus songer. Mais si tu tiens le moins du monde à ce que le sieur Lacroix ou le grand Sainte-Beuve reçoivent quelque chose sur la figure ou autre part, tu n’as qu’à me le dire. C’est une commission dont je m’acquitterais avec empressement à mon prochain voyage à Paris, par manière de passe-temps, entre deux courses. Mais ne pouvais-tu, du premier mot, mettre ce Lacroix à la porte ? À quoi bon discuter, répliquer, se passionner ? Tout cela est bien facile à dire de sang-froid, n’est-ce pas ? C’est que c’est toujours ce maudit élément passionnel qui nous cause tous nos ennuis. Quel grand mot que celui de La Rochefoucauld : « L’honnête homme est celui qui ne s’étonne de rien ». Oui, il faut se brider le cœur, le tenir en laisse comme un bouledogue enragé et ensuite le lâcher tout d’un bond dans le style, au moment opportun. Cours, mon vieux, cours, aboie fort et prends au ventre. Ce que ces drôles-là ont de supérieur sur nous, c’est la patience. Ainsi dans cette histoire, Lacroix, par sa ténacité de