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DE GUSTAVE FLAUBERT.

pas et qui en est malade. Quelle chose étrange ! Car au fond ce pauvre garçon n’est pas sot. Il a même quelquefois de l’esprit, à travers ses grosses blagues, et il possède une qualité fort rare, à savoir l’enthousiasme (qualité qui tient du reste plus au sang, à sa race espagnole, qu’à son esprit en soi-même). Mais il est si commun, si répulsif, nerveusement parlant, que, vous eût-il rendu tous les services du monde, on ne peut l’aimer. En quoi gît donc l’agrément ? Qu’est-ce que c’est que cette buée mauvaise et subtile qui s’exhale d’un individu et fait qu’il vous déplaît, alors même qu’il ne vous déplaît pas ? Quelle est la raison de ça ? Je me creuse à la chercher. Et puis quel costume ! quels habits ! un noir râpé partout, des souliers-bottes, des bas gris, une chemise de couleur disparaissant sous les dessins compliqués, un collier de barbe ! Oh ! c’est fort, le collier ! Le collier est tout un monde ; rappelle-toi ce grand mot que je trouve à l’instant même ! Ah ! mon Dieu ! mon Dieu ! N’avons-nous pas assez de crasses morales sans les crasses physiques ? Comme ça fait aimer la beauté, ces êtres-là ! Ah ! oui, c’est beau une belle figure, une belle étoffe, un beau marbre ; c’est beau l’éclat de l’or et les moires du satin, un rameau vert qui se balance au vent, un gros bœuf ruminant dans l’herbe, un oiseau qui vole… Il n’y a que l’homme de laid. Comme tout cela est triste ! Ça m’en tourne sur la cervelle. Et dire que, si j’étais aveugle, je l’aimerais peut-être beaucoup ! Je crois que ces répulsions sont des avertissements de la Providence. C’est un instinct conservateur qui nous avertit de se mettre en garde, et je me tue à chercher en quoi Azvédo pourra me nuire.